Le vieux Lyon, sa cathédrale, ses bouchons... ses fachos. Sur la place Saint-Jean, samedi 14 mai, les touristes ont pu admirer un pot pourri de ce que l’extrême-droite radicale a de meilleur. Un particularisme lyonnais que l’office du tourisme se garde bien de mentionner. Identitaires, hooligans, skinheads et apparentés néo-nazis se sont réunis à l’appel du Bloc identitaire, parti politique depuis 2009. Son président, Fabrice Robert, fut le fondateur du groupuscule Unité radicale dissous après la tentative d’assassinat foireuse de Chirac par Maxime Brunerie en 2002. Robert n’aime guère qu’on le lui rappelle.
Le but de la sauterie du 14 mai ? Tenter d’exister face au Front national – obtenir des conseillers municipaux en 2014 – et lancer la campagne de leur candidat à la présidence, Arnaud Gouillon. Comment ? En créant le buzz avec une “marche des cochons” contre les envahisseurs musulmans, l’ennemi commun. La vidéo de l’invasion du Quick halal de Villeurbanne, le 7 avril 2010, par des identitaires masqués de groins est un hit du net.
Avec les apéros saucissons, la tendance est à l’agit-prop islamophobe. Pour le 14 mai, 500 masques avaient été commandés... avant que la préfecture n’interdise la “pig pride”. En cause ? Son goût douteux et la tenue d’une contre-manif antiraciste créant “un risque certain de confrontation physique”, précise l’arrêté préfectoral. Rebaptisée “manifestation pour la liberté”, le raout du Bloc est autorisé à trois conditions : statique, sans masque et irréprochable.
Sur le parvis de la cathédrale, les 400 manifestants, en majorité masculins, ont le cheveu ras, une bière dans chaque main, des T-shirts “On est chez nous” ou des blousons Lonsdale. Le slogan “l’islam n’a pas sa place en Europe”, martelé par Fabrice Robert, résume le message. Sous la pluie battante, les membres du service d’ordre du Bloc, affublés de T-shirts roses, suent comme des cochons. Hop, à gauche : un télescopage entre une femme voilée et un manifestant évité de justesse. Vite, à droite : un crâne rasé ivre mort veut en découdre avec les CRS. Ceinturé in extremis, ouf. Au milieu : Philippe Billot, un cadre, suggère poliment à un grand gaillard rasé de découvrir son visage.
Grognements. La rééducation prendra du temps. Là : un T-shirt rose baisse de justesse deux bras prêts à faire le salut nazi. Chassez les habitudes… Les frustrés profiteront de la fumée des feux de Bengale pour se soulager. Tout ça sous le regard de 400 policiers et CRS. En fin d’après-midi, une fois relâchée, impossible de maîtriser la bête : kebab saccagé, 80 arrestations, 4 comparutions immédiates et, dit-on, quelques passages à tabac. Une journée de cochons.
Agressions en série
“Agressions à la Croix-Rousse, devanture d’un bar accueillant un concert sénégalais défoncée, deux personnes au look anar agressées, une victime présumée dans le VIe peut-être d’origine maghrébine…” Marion Athiel, militante du Planning familial, fait l’inventaire des infos que le Collectif 69 de vigilance contre l’extrême droite a récoltées.
Le site d’info alternatif Rebellyon a mis en ligne un appel à témoignages. Depuis un an et demi, le mouvement antiraciste lyonnais dénonce une escalade de la violence d’extrême droite. Comme le 22 janvier 2010, où une trentaine d’hommes transperce le cordon de CRS à l’assaut de la manif contre le débat sur l’identité nationale. Ou encore le 6 mars, place Saint-Jean, où trois militants CNT sont agressés en sortant d’un resto. Dix jours d’ITT pour David. Selon lui, il y a un mode opératoire : un groupe fait des rondes, repère la victime – “Ma tête a circulé sur des vidéos d’identitaires” –, puis téléphone aux renforts restés à picoler dans les pubs. Chez les antifas, ils sont quelques-uns à flipper, voire à se mettre au vert. Le collectif comptabilise plus de 200 jours d’ITT cumulés, sans compter l’agression la plus grave.
Celle de Villeurbanne, le 15 janvier 2011, 23h30, sortie d’un concert organisé par le milieu anarcho-libertaire. Un couple, looké libertaire, remonte la rue des Bienvenus. Neuf individus leur font face. Quatre fondent sur eux, battes à la main. La femme prend un coup à la tempe. “Un hématome sous-dural qui aurait pu lui coûter la vie”, précise Me Sayn, son avocat. Ils s’acharnent ensuite sur son compagnon. 80 jours et 100 jours d’ITT, peut-être des séquelles à vie. Les quatre agresseurs risquent de dix à vingt ans de prison.“Ils s’étaient donné rendez-vous sur le parking”, selon l’avocat. Pour Eric, deRas l’Front, “il y a des chasses à l’homme, une volonté de traquer le gauchiste ou apparenté pour le massacrer”.
"Une impression d'impunité"
En avril 2011, les écolos, les communistes et les socialistes ont rejoint le collectif de vigilance.
“Certains disent que les agressions dénoncées par le collectif sont des affrontements de jeunes désorientés de groupuscules de gauche et de droite, explique le député PS Jean-Louis Touraine, présent à la contre-manif du 14 mai. “Si personne ne nie que des éléments violents existent des deux côtés, c’est différent : le collectif est responsable, respectueux de la non-violence et de la pluralité des opinions. En face, ça ressemble aux ligues des années 30. Ils ont pris de la vigueur, sont plus arrogants, plus visibles, décomplexés par les discours gouvernementaux.”
Pour le spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus, “une police et des autorités pas assez fermes peuvent donner une impression d’impunité”.
La réputation de Lyon, ville modérée et humaniste serait-elle usurpée ? Ce serait oublier l’université Lyon-III, née du “traumatisme” de Mai 68, et son lot de négationnistes et d’anciens collabos. La fac de Bruno Gollnisch, ancien n° 2 du FN, et de Pierre Vial. Il y a eu Charles Millon et les accords avec le FN aux régionales de 1997. Autant d’inspiration et de nourriture idéologique pour l’extrême droite “hard” locale. “Ici, le FN est anti-mariniste, il a une plus grande tolérance pour ces mouvements qui gravitent à sa droite”, ajoute Jean-Yves Camus.
"Les identitaires sont les plus dangereux. Les autres sont des beaufs"
A Lyon, il y a une logique de territoire. Il y a la colline qui travaille, La Croix- Rousse et les Pentes, ancien haut lieu de lutte des canuts, avec ses centres sociaux autogérés, ses squats à forte tradition anar et libertaire. En face, il y a la colline qui prie, la Fourvière, le vieux Lyon et son quartier médiéval estampillé catho tradi. Les identitaires lyonnais de Rebeyne! y ont leur local, “la Traboule”. Il y a au Sud, dans le VIIe arrondissement, le quartier popu de Gerland. Les membres de l’association Lyon Dissident – foot, gros rock, bière et baston – à tendance néo-nazie y sont installés, dans le Bunker Korps Lyon (BKL), à deux pas du cimetière israélite. Depuis le 19 mai, il est sous le coup d’une fermeture administrative provisoire. Intimidations, insultes au mégaphone aux prisonniers du centre de semi-liberté d’en face, bagarres avec des antifas, le voisinage s’en plaint.
“Une mère de famille d’origine maghrébine s’est fait frapper par de soi-disant supporters de foot, une ratonnade oui”, rapporte Farouk Korichi, porte-parole de l’asso Jeune action Gerland. “Les identitaires posent des autocollants ‘zone antiracailles’ dans le quartier ; charmant, non ?”
Officiellement, pour la com’, les deux groupes n’ont aucun lien. Propre et éduqué pour les identitaires. Crasse et popu pour ceux de Gerland. “On n’a rien à voir avec les supporters de foot ou les skins qui commettent les violences, nous on fait de la politique”, rétorque Fabrice Robert. Philippe Bouvard du collectif de vigilance n’est pas d’accord : “Ils présentent leur local comme un lieu d’autodéfense, ils sont aussi bagarreurs que les néo-nazis et les tarés : ils veulent libérer les berges de la racaille, sécuriser Saint-Jean !”
“Les identitaires ne peuvent pas rompre avec les tarés car ils les utilisent : ils gonflent leur troupe, sécurisent les manifs, participent à des actions communes contre les antifas”, estime David avant d’ajouter : “Les identitaires sont les plus dangereux, ils ont lu Gramsci ; les autres sont des gros beaufs, des gros bras, leurs SA.”
Anne Laffeter
http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/66155/date/2011-06-06/article/identitaires-skins-la-face-noire-de-lyon/
Le but de la sauterie du 14 mai ? Tenter d’exister face au Front national – obtenir des conseillers municipaux en 2014 – et lancer la campagne de leur candidat à la présidence, Arnaud Gouillon. Comment ? En créant le buzz avec une “marche des cochons” contre les envahisseurs musulmans, l’ennemi commun. La vidéo de l’invasion du Quick halal de Villeurbanne, le 7 avril 2010, par des identitaires masqués de groins est un hit du net.
Avec les apéros saucissons, la tendance est à l’agit-prop islamophobe. Pour le 14 mai, 500 masques avaient été commandés... avant que la préfecture n’interdise la “pig pride”. En cause ? Son goût douteux et la tenue d’une contre-manif antiraciste créant “un risque certain de confrontation physique”, précise l’arrêté préfectoral. Rebaptisée “manifestation pour la liberté”, le raout du Bloc est autorisé à trois conditions : statique, sans masque et irréprochable.
Sur le parvis de la cathédrale, les 400 manifestants, en majorité masculins, ont le cheveu ras, une bière dans chaque main, des T-shirts “On est chez nous” ou des blousons Lonsdale. Le slogan “l’islam n’a pas sa place en Europe”, martelé par Fabrice Robert, résume le message. Sous la pluie battante, les membres du service d’ordre du Bloc, affublés de T-shirts roses, suent comme des cochons. Hop, à gauche : un télescopage entre une femme voilée et un manifestant évité de justesse. Vite, à droite : un crâne rasé ivre mort veut en découdre avec les CRS. Ceinturé in extremis, ouf. Au milieu : Philippe Billot, un cadre, suggère poliment à un grand gaillard rasé de découvrir son visage.
Grognements. La rééducation prendra du temps. Là : un T-shirt rose baisse de justesse deux bras prêts à faire le salut nazi. Chassez les habitudes… Les frustrés profiteront de la fumée des feux de Bengale pour se soulager. Tout ça sous le regard de 400 policiers et CRS. En fin d’après-midi, une fois relâchée, impossible de maîtriser la bête : kebab saccagé, 80 arrestations, 4 comparutions immédiates et, dit-on, quelques passages à tabac. Une journée de cochons.
Agressions en série
“Agressions à la Croix-Rousse, devanture d’un bar accueillant un concert sénégalais défoncée, deux personnes au look anar agressées, une victime présumée dans le VIe peut-être d’origine maghrébine…” Marion Athiel, militante du Planning familial, fait l’inventaire des infos que le Collectif 69 de vigilance contre l’extrême droite a récoltées.
Le site d’info alternatif Rebellyon a mis en ligne un appel à témoignages. Depuis un an et demi, le mouvement antiraciste lyonnais dénonce une escalade de la violence d’extrême droite. Comme le 22 janvier 2010, où une trentaine d’hommes transperce le cordon de CRS à l’assaut de la manif contre le débat sur l’identité nationale. Ou encore le 6 mars, place Saint-Jean, où trois militants CNT sont agressés en sortant d’un resto. Dix jours d’ITT pour David. Selon lui, il y a un mode opératoire : un groupe fait des rondes, repère la victime – “Ma tête a circulé sur des vidéos d’identitaires” –, puis téléphone aux renforts restés à picoler dans les pubs. Chez les antifas, ils sont quelques-uns à flipper, voire à se mettre au vert. Le collectif comptabilise plus de 200 jours d’ITT cumulés, sans compter l’agression la plus grave.
Celle de Villeurbanne, le 15 janvier 2011, 23h30, sortie d’un concert organisé par le milieu anarcho-libertaire. Un couple, looké libertaire, remonte la rue des Bienvenus. Neuf individus leur font face. Quatre fondent sur eux, battes à la main. La femme prend un coup à la tempe. “Un hématome sous-dural qui aurait pu lui coûter la vie”, précise Me Sayn, son avocat. Ils s’acharnent ensuite sur son compagnon. 80 jours et 100 jours d’ITT, peut-être des séquelles à vie. Les quatre agresseurs risquent de dix à vingt ans de prison.“Ils s’étaient donné rendez-vous sur le parking”, selon l’avocat. Pour Eric, deRas l’Front, “il y a des chasses à l’homme, une volonté de traquer le gauchiste ou apparenté pour le massacrer”.
"Une impression d'impunité"
En avril 2011, les écolos, les communistes et les socialistes ont rejoint le collectif de vigilance.
“Certains disent que les agressions dénoncées par le collectif sont des affrontements de jeunes désorientés de groupuscules de gauche et de droite, explique le député PS Jean-Louis Touraine, présent à la contre-manif du 14 mai. “Si personne ne nie que des éléments violents existent des deux côtés, c’est différent : le collectif est responsable, respectueux de la non-violence et de la pluralité des opinions. En face, ça ressemble aux ligues des années 30. Ils ont pris de la vigueur, sont plus arrogants, plus visibles, décomplexés par les discours gouvernementaux.”
Pour le spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus, “une police et des autorités pas assez fermes peuvent donner une impression d’impunité”.
La réputation de Lyon, ville modérée et humaniste serait-elle usurpée ? Ce serait oublier l’université Lyon-III, née du “traumatisme” de Mai 68, et son lot de négationnistes et d’anciens collabos. La fac de Bruno Gollnisch, ancien n° 2 du FN, et de Pierre Vial. Il y a eu Charles Millon et les accords avec le FN aux régionales de 1997. Autant d’inspiration et de nourriture idéologique pour l’extrême droite “hard” locale. “Ici, le FN est anti-mariniste, il a une plus grande tolérance pour ces mouvements qui gravitent à sa droite”, ajoute Jean-Yves Camus.
"Les identitaires sont les plus dangereux. Les autres sont des beaufs"
A Lyon, il y a une logique de territoire. Il y a la colline qui travaille, La Croix- Rousse et les Pentes, ancien haut lieu de lutte des canuts, avec ses centres sociaux autogérés, ses squats à forte tradition anar et libertaire. En face, il y a la colline qui prie, la Fourvière, le vieux Lyon et son quartier médiéval estampillé catho tradi. Les identitaires lyonnais de Rebeyne! y ont leur local, “la Traboule”. Il y a au Sud, dans le VIIe arrondissement, le quartier popu de Gerland. Les membres de l’association Lyon Dissident – foot, gros rock, bière et baston – à tendance néo-nazie y sont installés, dans le Bunker Korps Lyon (BKL), à deux pas du cimetière israélite. Depuis le 19 mai, il est sous le coup d’une fermeture administrative provisoire. Intimidations, insultes au mégaphone aux prisonniers du centre de semi-liberté d’en face, bagarres avec des antifas, le voisinage s’en plaint.
“Une mère de famille d’origine maghrébine s’est fait frapper par de soi-disant supporters de foot, une ratonnade oui”, rapporte Farouk Korichi, porte-parole de l’asso Jeune action Gerland. “Les identitaires posent des autocollants ‘zone antiracailles’ dans le quartier ; charmant, non ?”
Officiellement, pour la com’, les deux groupes n’ont aucun lien. Propre et éduqué pour les identitaires. Crasse et popu pour ceux de Gerland. “On n’a rien à voir avec les supporters de foot ou les skins qui commettent les violences, nous on fait de la politique”, rétorque Fabrice Robert. Philippe Bouvard du collectif de vigilance n’est pas d’accord : “Ils présentent leur local comme un lieu d’autodéfense, ils sont aussi bagarreurs que les néo-nazis et les tarés : ils veulent libérer les berges de la racaille, sécuriser Saint-Jean !”
“Les identitaires ne peuvent pas rompre avec les tarés car ils les utilisent : ils gonflent leur troupe, sécurisent les manifs, participent à des actions communes contre les antifas”, estime David avant d’ajouter : “Les identitaires sont les plus dangereux, ils ont lu Gramsci ; les autres sont des gros beaufs, des gros bras, leurs SA.”
Anne Laffeter
http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/66155/date/2011-06-06/article/identitaires-skins-la-face-noire-de-lyon/
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