Une impression de déjà vu. Depuis quelques années, la violence endémique d'une partie des supporteurs du Paris Saint-Germain suscite controverses et oppositions. De la lutte entre groupes de supporteurs durant la saison 2005-2006 à la dissolution des Boulogne Boys en 2008 pour une banderole anti-chtis, en passant par la mort de Julien Quemener en novembre 2006, rien n'a enrayé cette spirale de la violence.
Le dernier épisode remonte à dimanche soir. Des supporteurs parisiens se sont violemment battus entre eux. Un homme, gravement blessé, était toujours mercredi soir entre la vie et la mort.
«La situation est gravissime, mais ces incidents étaient malheureusement attendus», explique pour Libération Nicolas Hourcade, professeur à l'Ecole centrale de Lyon. Le sociologue, chargé par Rama Yade d'organiser en janvier un congrès sur le sujet, assure que la violence entre supporteurs parisiens montait depuis quelques semaines.
Que s'est-il passé dimanche aux abords du Parc des Princes ?
Quelques heures avant le coup d'envoi du classico PSG-OM, dimanche, des centaines de personnes convergent vers le Parc des Princes.
Exclusivement des supporteurs du club parisien, puisque les fans marseillais ont décidé la veille de boycotter le déplacement. La tension monte. «Certains fans parisiens en profitent pour régler leurs contentieux, relate RMC. Plusieurs dizaines de membres du Kop de Boulogne se présentent au pied du virage Auteuil pour en découdre. Le parvis se transforme en champ de bataille (...).»
Malgré l'impressionnant déploiement de forces de l'ordre (1500 policiers), les échauffourées continuent. Le site Internet de So Foot relate les mêmes scènes de «lynchages», sans «codes» ni «règles». «Il ne s'agissait pas d'une fight organisée, mais bien d'une sorte de guérilla urbaine déclenchée par l'attaque des kobistes [membres du kop de Boulogne, ndlr]».
«Au cours des affrontements, un membre de la tribune Boulogne s'est retrouvé isolé et passé à tabac», poursuit RMC. Ce dernier, qui souffre d'un œdème cérébral, est toujours hospitalisé dans un état critique à l'hôpital Beaujon de Clichy. L'agression a conduit Robin Leproux, président du PSG, à prendre la décision de ne plus vendre «jusqu'à nouvel ordre» de billets à ses supporteurs en déplacement.
Pourquoi en est-on arrivé là?
Cette violence chez les supporteurs est, selon Nicolas Hourcade, une spécificité parisienne : «Il existe un conflit extrême entre deux tribunes, Auteuil et Boulogne. Ailleurs en France, il peut y avoir des rivalités et des violences entre groupes soutenant un même club mais elles ne prennent pas une telle ampleur.» Pour comprendre cette exception, il faut revenir à l'histoire des kops du PSG.
Boulogne est la tribune historique du club, née dans les années 70. «Elle a une triple tradition: supportrice, violente et nationaliste. Ça ne veut pas dire que tous ses membres sont violents ou racistes, mais il existe une minorité dominante», avance Nicolas Hourcade.
Carine Bloch, vice-présidente de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) chargée du sport, précise : «Boulogne, c'est la tribune dite “blanche”. Certains empêchent les personnes de couleur d'y pénétrer. Il y a des cris de singe, des autocollants d'extrême droite, des jeunesses identitaires.»
Montée d'Auteuil. Dans les années 90, le club pousse à la mise en place d'une nouvelle tribune, Auteuil. «De tendance ultra, elle est plus cosmopolite», souligne le sociologue. «Auteuil est bien plus colorée, ouverte aux quartiers populaires», ajoute Carine Bloch.
«Au début, les membres d'Auteuil restaient en retrait par rapport à Boulogne. Ils ne répondaient pas aux provocations et ne se battaient pas», reprend Hourcade. Mais au début des années 2000, un groupe d'Auteuil, les Tigris Mystics, gagne en influence. Plus radical, il refuse la domination de Boulogne.
De nombreux incidents violents entre supporteurs du PSG pourrissent la saison 2005-2006. Cet affrontement, symbolisé par la rivalité entre les Tigris et les Boulogne Boys, semble prendre fin avec la dissolution des premiers.
«Mais peu à peu, l'influence d'Auteuil s'est de nouveau étendue. Ses membres sont les plus nombreux en déplacement, ils font davantage d'animation au stade. On remarque aussi que les jeunes y sont plus radicaux et violents qu'auparavant. Ils affichent davantage leur antiracisme», décrypte le sociologue. Carine Bloch appuie : «Le rapport de force entre les deux tribunes semble s'inverser. Boulogne utilisait la violence, Auteuil y a maintenant également recours.»
Les derniers mois ont été émaillés de plusieurs incidents notables entre les deux tribunes, sur fond de racisme et de violences exacerbés, et de résultats sportifs très moyens. «Ça a commencé lors de Bordeaux-PSG (le 5 décembre), quand un membre de Boulogne, qui portait une croix celtique, a été agressé par des supporteurs d'Auteuil. Il y a eu la revanche lors de Lille-PSG [près de 200 membres de Boulogne se sont attaqués à la tribune réservée à Auteuil le 16 janvier dernier, ndlr]», explique la responsable de la Licra. Rien d'étonnant, donc, dans les violents affrontements de dimanche dernier.
Comment venir à bout de ces problèmes de violences?
«A en croire certaines interventions médiatiques, il y aurait des solutions miracles. Alors que non. Sinon, on l'aurait déjà fait.» Dans une interview à LyonCapitale, Nicolas Hourcade était clair. Le phénomène ultra est complexe, et ce n'est pas pour rien qu'il empoisonne la vie du PSG depuis de nombreuses saisons.
Tout d'abord, la minorité agissante qui pose problème est difficile à appréhender. «On peut estimer qu'il y a environ 100 supporters radicaux dans chaque camp, un nombre qui peut augmenter selon les circonstances», avance Nicolas Hourcade. Leur structure est souvent émiettée, autour de sous-groupes qui ne partagent pas forcément les mêmes motivations.
Existe-t-il des liens entre les membres les plus radicaux de ces tribunes et des mouvements politiques extrémistes ? Pour le sociologue, «il y a historiquement une dissociation entre la scène politique extrémiste parisienne et les tribunes du Parc. Il existe éventuellement des connexions individuelles, mais le mot d'ordre, c'est d'éviter la récupération politique».
Laisser-aller. Mais comme l'explique Carine Bloch, «il y a un renouvellement des générations, on voit arriver des supporters indépendants avec un activisme politique». Pour elle, «si on arrive à des situations aussi radicales, c'est qu'à un moment, on a laissé les choses monter en se cachant. Cela fait quelques semaines qu'on a demandé à la direction du club de nouvelles réunions».
«Les sanctions doivent être plus systématiques, poursuit la responsable de la Licra. On arrive à combattre le problème des fumigènes, mais en se focalisant là-dessus, on se détourne des problèmes de violence et de racisme. Il y a eu un laisser-aller sur ces points.»
Autre exemple, plus ancien: «En 2008, le même jour que la banderole anti-chtis, des personnes de couleur ont été coursées au RER Saint-Michel par des supporters du PSG. Les forces de l'ordre étaient présentes sur les lieux, mais il n'y a eu ce jour-là aucune interpellation.»
Interdictions de stade, poursuites judiciaires dans les cas les plus graves... l'arsenal législatif français est largement suffisant selon Nicolas Hourcade. «Il faut appliquer les dispositifs existants, mais avec discernement», explique-t-il. Et de préciser: «On ne peut pas éviter des interdictions de stade massives, mais il faut cibler les plus radicaux, pas les éléments modérateurs. Il faut arriver à sanctionner judiciairement les actes graves, mais sans arbitraire.»
Quant à l'éventuelle dissolution de groupes de supporters, les avis sont partagés. Carine Bloch rappelle que «quand des présidents d'association ne sont pas en mesure de tenir leur base, on ne peut plus laisser faire. Si on doit aller jusqu'à la dissolution, allons-y».
Bandes. Une limite toutefois, pointée par Nicolas Hourcade : «Il ne faut pas oublier que les associations ont aussi des dimensions régulatrices. La dissolution des Boulogne Boys en 2008 n'a pas apaisé la situation. L'absence d'association à Boulogne est un problème. Peut-être que les autorités peuvent essayer de dissoudre les bandes violentes mais, a priori, la mesure de dissolution s'applique mieux à des associations qu'à des bandes.»
Du côté du ministère de l'Intérieur, on assure que la loi contre les bandes, publiée ce mercredi au Journal Officiel, permet de lutter contre ce nouveau type de violences. Une circulaire adressée au préfet permet notamment d'allonger la durée des interdictions de stade, la faisant passer «de trois à six mois».
Dans l'immédiat, les annonces de la direction du PSG sont saluées. «A court terme, c'est une bonne décision, qui était indispensable», explique Hourcade. «Mais à moyen terme, il serait sans doute opportun que le PSG repense de manière générale ses relations avec ses supporters pour repartir sur des bases saines».
Pourquoi la guerre des tribunes reprend au PSG - Libération: "Aux abords du Parc des Princes, le 28 février
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