Par Dominique SOPO
Quelques jours après l’opération-spectacle qui aura vu, le 22 septembre, la destruction très scénarisée de la « jungle » de Calais, quelques leçons méritent d’être tirées.
Après les rodomontades triomphalistes du ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale selon lequel cette opération a été un « succès » contre les « passeurs » et qu’elle a permis de rétablir l’ « Etat de droit », chacun pourra constater que de succès il n’y en a point mais de cynisme énormément.
L’essentiel des adultes placés en centre de rétention ont été libérés tant leurs droits avaient été bafoués. Indice intéressant sur le but réel de cette opération au cours de laquelle aucune importance ne fut donnée au respect des droits les plus élémentaires que notre pays, fort heureusement, offre aux populations migrantes.
Ce qui s’est joué à Calais a finalement été la mise en œuvre d’une ligne de conduite politique des plus abjectes : celle qui consiste à agiter comme un épouvantail devant les yeux des Français le problème des « clandestins » et de tenter de jeter ces derniers en pâture à une opinion publique qu’on aura soigneusement chauffé en faisant de la lutte contre l’immigration clandestine le pivot de la politique d’immigration.
Et peu importe que le nombre de clandestins soit finalement assez faible dans notre pays. Car, bien loin de toute hystérie anti-immigrée, notre pays compte, sur son territoire, 200.000 à 400.000 clandestins (dont une partie n’est qu’en transit vers d’autres pays, comme les Afghans du Calaisis), bien loin du tsunami de sans-papiers auquel la France semble parfois confrontée tant les communications, déclarations et opérations liées à ces derniers auront émaillé, depuis quelques années, l’actualité politique.
Peu importe également que le problème de l’immigration clandestine, dans un monde fort heureusement de plus en plus ouvert et aux moyens de communication rendant les déplacements de plus en plus aisés, ne puisse être jugulée par les rêves de lignes Maginot migratoires mais bien par une action sur les raisons profondes de cet état de fait, qu’elles soient économique ou politiques.
Peu importe encore que l’actuelle situation dans le Calaisis soit la conséquence logique et inévitable de la fermeture, naguère, du centre de Sangatte alors présentée, avec force simplisme, comme LA solution définitive à la présence de migrants dans le Calaisis.
Peu importe enfin que le HCR s’inquiète avec insistance de la situation des clandestins du Calaisis, harcelés par les autorités de la République et par les passeurs que la République prétend affaiblir, par un étrange syllogisme, en s’en prenant aux clandestins, l’objet de leur trafic.
Peu importe toutes ces considérations car l’opération de démantèlement de la « jungle » a été conçue, préparée et menée comme un show dont les figurants forcés furent les clandestins. Ou à tout le moins les quelques-uns qui étaient restés sur place puisque, comme tout show dont on cherche le succès d’audience, il fit l’objet d’une campagne de communication digne de la sortie d’un Tarantino.
Et quel est, au final, le bilan de ce « spectacle » ?
Les clandestins sont revenus dans les jours qui ont suivi se réinstaller dans de nouveaux campements, un peu plus loin des regards et des aides humanitaires et donc davantage à la merci des passeurs auxquels cette opération était censée porter un coup majeur sinon fatal.
L’Etat a montré un visage inquiétant en convoquant des caméras pour présenter comme des prises de guerre les clandestins arrêtés. A cet égard, la situation des mineurs est sans doute la plus dramatique. Car sur quelle malsaine corde voyeuriste fallait-il jouer pour donner à voir ces visages souvent glabres dans les journaux du 20h, dans un climat dont l’obscénité m’a inspiré le titre de cette tribune. Et, en effet, que fut l’opération menée à Calais sinon un bref instant de pornographie ? Un instant où furent exhibés de pauvres hères à la vie souvent en lambeaux et qui, se frayant un chemin vers la terre d’un nouvel espoir, se font voler jusqu’à leur intimité pour des raisons qui, finalement, n’ont pas beaucoup à voir avec leur situation mais beaucoup à voir avec une logique populiste dont ils sont le carburant de circonstance.
Du côté du Gouvernement, on nous explique, contre toute évidence mais avec une crâne assurance, que l’opération dans le Calaisis renverrait à un souci de faire respecter l’Etat de droit. Mais où est l’Etat de droit quand les conditions d’accès à l’aide humanitaire et à un accompagnement effectif vers des procédures d’asile ont été volontairement détériorées ? Où est l’Etat de droit lorsque des mineurs sont exhibés devant l’œil concupiscent des caméras ? Où est l’Etat de droit lorsque les tribunaux, pourtant guère tendres en la matière, constatent que les droits des personnes retenues ont été grossièrement ignorés ? Où est l’Etat de droit lorsque des mineurs, bien loin de l’obligation que s’impose l’Etat d’assurer à ces derniers un accompagnement éducatif, se retrouvent dans des « centres d’accueil spécialisés » où rien ne les attend, sinon un hébergement d’urgence ?
L’Etat de droit, en France, n’est fort heureusement pas dissociable d’un humanisme qui le fonde. Tordre l’interprétation du droit, le bafouer au besoin et se lancer dans des pratiques attentatoires à notre conception de la dignité humaine, voilà qui nous place bien loin d’un quelconque Etat de droit si martialement revendiqué.
Mais de ce bref instant de pornographie, ses commanditaires essaient d’en faire un point d’appui. Au milieu de nouvelles « opérations » de démantèlement des campements et d’arrestations de migrants, il est aujourd’hui question de charters vers l’Afghanistan. Une fois de plus, il s’agirait de faire « respecter l’Etat de droit » et de montrer, en quelque sorte, la détermination de la France à lutter contre l’immigration clandestine. Exhibés, les Afghans vont-ils finir expulsés ? La fermeté en matière migratoire, si contestable et archaïque soit-elle, est certes une option politique dans un jeu démocratique. Mais il y a une limite qu’un Etat de droit, précisément, devrait se refuser de franchir : celle qui consiste à mettre l’impératif de fermeté au-dessus de la vie des individus. Et c’est bien de cela dont il s’agirait si des charters étaient affrétés vers Kaboul, capitale d’un pays où l’on hésite même à y laisser nos soldats.
Un bref instant de pornographie - SOS-Racisme - Touche pas à mon pote !: "Un bref instant de pornographie"
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