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lundi 20 avril 2009

Corrigeons nos pratiques, mais pas nos principes, par Bariza Khiari et Samuel Thomas - Opinions - Le Monde.fr

Corrigeons nos pratiques, mais pas nos principes, par Bariza Khiari et Samuel Thomas - Opinions - Le Monde.fr

L' offensive en faveur des statistiques ethniques figurait dans les déclarations de campagne du candidat Sarkozy. La première salve fut sournoise : par un amendement au projet de loi relatif à l'immigration, à l'asile et à l'intégration, la majorité parlementaire autorisa la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) à banaliser le recours aux statistiques ethniques, avant que le Conseil constitutionnel ne censure ce dispositif, le 15 novembre 2007. M. Sarkozy récidiva le 8 janvier 2008, en évoquant la modification de la Constitution afin d'y inscrire le principe de diversité. Le Comité chargé d'étudier cette nouvelle proposition conclut en décembre 2008 qu'elle était inopportune. Qu'importe, Nicolas Sarkozy nomme Yazid Sabeg, partisan notoire des statistiques ethniques, commissaire à la diversité, afin de mener à terme cette entreprise.

Aux yeux de M. Sabeg, la polémique sur les statistiques ethniques serait un remake de la lutte opposant les Anciens et les Modernes. Il faudrait, au nom du volontarisme politique, oublier l'histoire, faire fi de nos objections de principe et sacrifier les idéaux républicains sur l'autel de l'évaluation des politiques publiques. Exit donc le préambule de 1946, selon lequel "tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés". Troublante inversion des valeurs : en guise de modernité, on ne nous propose qu'une invraisemblable régression.

Nous tenons à réaffirmer notre conviction : on ne peut prétendre lutter contre les discriminations en reproduisant le schéma mental de ceux qui discriminent. Nous sommes fidèles à l'idéal d'égalité républicaine, non par conservatisme, mais parce qu'il reste le plus beau, le plus noble. De surcroît, la mesure proposée, fondée sur le sentiment d'appartenance à une communauté et l'autodéclaratif, est contestable. Tel se déclarera arabe, tel autre mettra en avant son appartenance kabyle, berbère, religieuse, ou nationale. Faudra-t-il autant de variables que de réponses données ?

PRÉTENDUE IMPUISSANCE

La question n'est pas seulement de savoir s'il est possible de mesurer la diversité, mais de savoir si, à partir de ces mesures, il est possible d'impulser des politiques publiques efficaces. Faut-il, une fois qu'on aura par exemple mesuré qu'il y a 10 % de Français qui se disent discriminés car noirs de peau, leur réserver 10 % des places en filières sélectives, 10 % des places en position éligible sur les listes électorales ?

On ne peut bâtir une politique de long terme sur une donnée aussi imprécise et volatile que le sentiment d'appartenance. Face à tous les tenants de politique de quotas, de comptage ou d'assignation communautaire, nous croyons que la meilleure réponse aux discriminations reste l'application radicale du principe d'égalité.

Elus, acteurs économiques ou associatifs, nous devons engager une véritable rupture dans la lutte contre les discriminations. Pas une rupture avec nos principes, mais avec nos pratiques ou notre complaisance. Cette rupture, c'est celle de la volonté politique, des moyens et des mentalités. Les législations prohibant les discriminations ou le fichage ethnique existent depuis plus de trente ans. Jusqu'à présent, peu de sanctions ont été prononcées. Nous demandons la juste et stricte application de la loi. C'est la seule façon de démanteler les systèmes discriminatoires qui gangrènent notre société.

Les républicains ne peuvent plus se retrancher derrière une prétendue impuissance politique. Dans les collectivités territoriales, les offices HLM, les missions locales, les élus disposent d'un réel pouvoir de décision et de sanction. Ainsi, les maires peuvent retirer l'autorisation d'ouvrir après minuit à une discothèque épinglée pour discrimination. Au niveau national, nous devons exiger la mise en oeuvre d'une politique réelle de lutte contre les discriminations et dénoncer les mesures d'affichage du gouvernement. Les discriminations sont des actes de délinquance, il faut leur appliquer le même traitement qu'aux autres. Les outils de l'égalité républicaine existent. Le CV anonyme a été adopté en 2006 par le Parlement, mais le gouvernement refuse toujours de prendre les décrets nécessaires à son application.

Le 11 février, le Sénat a adopté à l'unanimité une proposition de loi visant à supprimer les "emplois fermés" dans le secteur libéral et privé. En effet, en vertu de la réglementation en vigueur, un étudiant extracommunautaire ayant effectué l'intégralité de ses études de médecine, d'architecte, d'expert-comptable, etc., en France n'a pas, en théorie, le droit d'exercer. Ces restrictions d'accès liées à la nationalité datent du début du XXe siècle. Elles sont connotées, obsolètes, et moralement condamnables. Pire, elles encouragent les discriminations illégales. Le gouvernement dispose là d'un outil législatif républicain et méritocratique pour faire preuve de sa détermination à lutter contre les discriminations.

Si nous cédons aux sirènes de ceux qui, sous couvert de mesure de la diversité, prétendent banaliser les statistiques ethniques en France, nous aurons perdu nos principes et la bataille idéologique que nous ont lancée les néoconservateurs et réactionnaires de tous poils. Pour eux, il s'agit en réalité d'occulter la question sociale et de faire peser la responsabilité des inégalités sur des variables ethniques. Face à cette offensive, réaffirmer nos principes ne suffit pas, nous devons leur donner une réalité en menant une véritable politique de lutte contre les discriminations et en traitant d'urgence la question sociale.


Bariza Khiari est sénatrice PS de Paris et Samuel Thomas vice-président de SOS-Racisme.

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