Conférence sur le racisme: la grande gabegie |Tribune de Genève:
ONU | Le rendez-vous de l’ONU s’ouvre lundi à Genève sur fond de boycotts et de polémiques. Israël reproche à la Suisse de cautionner une conférence à laquelle participe le président iranien.
La Suisse qui se fait tancer par Israël, les Européens qui ne parviennent pas à trouver une position commune, les Etats-Unis qui prennent la poudre d’escampette… Un vent de panique a soufflé durant tout le week-end sur les grandes capitales européennes. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se sont consultés à plusieurs reprises. Dans la soirée, l’Union européenne hésitait encore entre un boycott et une participation minimaliste avant que l’Allemagne n’annonce finalement son retrait définitif. La France, elle, a décidé de s’y rendre.
La Conférence sur le racisme qui s’ouvre ce matin à Genève sent le soufre. L’accord arraché vendredi soir n’a pas tenu. Même «nettoyé» de son passage controversé sur la diffamation des religions, le projet de texte soumis à discussion à partir d’aujourd’hui recèle trop de pièges aux yeux des Européens.
La venue du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a en outre changé la portée de cette conférence. Les plus optimistes y voyaient une occasion de réconcilier Occidentaux et pays musulmans sur la question des droits de l’homme. C’était sans compter avec le goût prononcé du président iranien pour la provocation.
Première provocation
Hier après-midi, Mahmoud Ahmadinejad a donné raison aux plus pessimistes qui pronostiquaient un détournement de la conférence à des fins politiques et une vendetta antisémite comme à Durban en 2001. Juste avant d’embarquer dans son avion pour Genève, le président iranien a donné le ton de son intervention d’aujourd’hui en déclarant que l’Etat hébreu était le «porte-drapeau du racisme».
En quelques secondes, l’accord arraché de haute lutte entre les Occidentaux et l’Organisation de la conférence islamique (OCI), pour évacuer la question israélo-palestinienne des débats a volé en éclats. Comment l’ONU va-t-elle pouvoir se sortir de ce piège? Le «machin» jadis tant décrié par le général de Gaulle accouche d’un truc qui fait pâlir d’inquiétude toute la communauté internationale.
La confusion règne
L’Iran n’a pas l’arme nucléaire mais elle est en mesure d’atomiser la diplomatie onusienne. Prise au piège depuis qu’elle a annoncé sa participation, la Suisse est contrainte à l’esquive. Micheline Calmy-Rey a indiqué hier soir qu’elle n’irait sans doute pas «elle-même» à la conférence pour ne pas cautionner «les dérapages» qui pourraient survenir.
Ce qui devait être la grand-messe des antiracistes est en passe de devenir une énorme gabegie. Les grands perdants, ce sont évidemment les victimes des discriminations raciales, de la xénophobie et de l’intolérance où qu’elles se trouvent à travers le monde. L’ambition du processus de Durban était d’édicter une norme, une règle, une ligne de conduite commune et universelle dans le respect des différences de chacun. On en est loin. Très loin.
Le voile d’infamie jeté sur la conférence par les gardiens de la révolution iranienne ne saurait pourtant occulter les efforts et progrès réalisés dans l’ombre ces dernières semaines. La ligne de fracture s’est déplacée. Plusieurs pays musulmans sont revenus à des positions plus modérées sur des questions pourtant très controversées. Les divisions ont surgi au sein des blocs régionaux, entre Européens, entre Arabes et entre Africains. On est passé d’une situation de confrontation entre Occidentaux et musulmans à une situation de confusion.
Les condamnations s’abattent en pluie au sommet des ONG
«C’est une gifle à la communauté internationale. Une ironie d’inviter un homme qui nie l’Holocauste à s’adresser lors d’un sommet sur le racisme», estime l’activiste iranienne Nazanin Afshin-Jam. De tous côtés, les critiques contre la venue du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, à la Conférence de Durban II fusent. Hier, elles ont résonné dans l’enceinte du Centre international de conférences de Genève, qui accueillait le Sommet sur la démocratie, la tolérance et les droits de l’homme, en marge de la conférence onusienne sur le racisme. A l’initiative de vingt organisations non gouvernementales, dont la Licra, SOS racisme ou UN Watch, la réunion avait pour objectif de rappeler, au-delà des circonvolutions diplomatiques, les grands sujets à mettre à l’agenda international.
Ici, pas de pincettes diplomatiques. Défenseurs des droits de l’homme, dissidents, victimes de génocides, de torture ou de dictatures dénoncent et nomment les personnalités les plus hautes.
«Honte à toi, Kadhafi! Honte à toi, Libye.» Ashraf El Hagog, le médecin palestinien qui a passé près de huit ans dans les geôles libyennes, est à la tribune pour dire ce que la présidente libyenne du comité préparatoire de la Conférence de Durban II lui a refusé vendredi. Il propose en substance un amendement pour que les Nations Unies condamnent les pays qui utilisent des boucs émissaires; ces pays doivent reconnaître leurs erreurs et s’excuser; enfin, ils doivent offrir un remède approprié aux victimes, a déclaré en substance le Dr Ashraf El Hagog.
«Les enjeux réels ne sont pas posés par Durban II, a regretté Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Ce qui se passe aujourd’hui au Darfour aurait dû être au centre des discussions. L’autre point clé est celui du négationnisme. Une conférence contre le racisme doit s’y pencher.»
Tout au long de la journée, les témoignages les plus poignants se sont succédé. Iran, Rwanda, Darfour, Birmanie, Cuba, Biélorussie, Libye, Venezuela, le Zimbabwe, l’Egypte, les cas ne manquent pas pour illustrer les violations des droits de l’homme. Histoire de moins se focaliser sur le conflit israélo-palestinien.
Anne-Muriel Brouet
Des centaines de manifestants
Le rassemblement contre le racisme a attiré, samedi après-midi à la place Neuve, près de 700 personnes, selon l’un des organisateurs, Karl Grünberg de ACOR/SOS Racisme. Parmi les participants figuraient des syndicats (SIT, UNIA), des associations tamouls ainsi que des partis politiques (Les Verts, Solidarités) notamment. Restés à l’écart, des groupes altermondialistes, comme Action antifasciste, avaient aussi fait le déplacement.
Sur les marches du Grand Théâtre, Jamal Zamalka, député palestinien au parlement israélien, a fustigé l’irrespect des droits de l’homme dont fait preuve Israël. L’UDC a également été montrée du doigt, accusée d’alimenter la haine par ses affiches de campagne et ses slogans anti-étrangers.
L’ancien rapporteur de l’ONU pour le racisme, Doudou Diène, a rappelé que le «chemin a été long entre Durban et Genève. Tout a été fait pour que cette conférence n’ait pas lieu.» Chaleureusement applaudi, l’ancien diplomate sénégalais a aussi loué les efforts des associations antixénophobes, affirmant que «tous les combats contre le racisme ont été menés par la société civile». Doudou Diène a indiqué à la Tribune de Genève qu’il demeurait certain que les participants à la conférence s’entendraient sur le projet de document final.
Le conseiller administratif Rémy Pagani a de son côté réaffirmé son soutien à un droit d’éligibilité des étrangers en Ville de Genève: «C’est un droit indivisible. Il n’y a pas de raison que ça ne marche pas.»
Henri Della Casa
La Suisse épinglée par Israël
Grosse colère. Israël a dénoncé hier la rencontre tenue dans la soirée entre le président de la Confédération, Hans-Rudolf Merz, et son homologue iranien, Mahmoud Ahmadinejad, à la veille de la Conférence contre le racisme.
«Cette conférence est une farce tragique!» assène Yossi Lévy, chargé des relations avec la presse au Ministère israélien des affaires étrangères. «Officiellement, il s’agit de dénoncer le racisme et on invite un négationniste connu qui appelle à la destruction de l’Etat d’Israël!»
Ambassadeur d’Israël auprès de l’ONU à Genève, Aharon Lechnoyaar affirmait hier à la radio qu’il tentait encore de «convaincre le président suisse de ne pas rencontrer Ahmadinejad, qui va prononcer un discours le jour de la commémoration de la Shoah et de l’anniversaire d’Hitler».
Lors de la rencontre, le président suisse a exprimé son inquiétude face à la situation des droits de l’homme en Iran, en particulier sur les peines corporelles, les lapidations et les exécutions de mineurs.
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