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lundi 20 avril 2009

Comptage ethnique : un débat confus et paradoxal, par Eric Fassin - Opinions - Le Monde.fr

Comptage ethnique : un débat confus et paradoxal, par Eric Fassin - Opinions - Le Monde.fr

Un débat peut en cacher un autre. Pour ou contre les 'statistiques ethniques' (ou la 'mesure de la diversité') ? Les camps s'organisent une fois encore : face à Yazid Sabeg, commissaire à la diversité, se dresse Patrick Gaubert, président du Haut Conseil à l'intégration (HCI) ; et face au comité présidé par François Héran, directeur de l'Institut national d'études démographiques (INED), une contre-commission de chercheurs se met en place.

Pour les uns, s'aveugler à la couleur au nom de la République, c'est laisser faire les discriminations raciales. Pour les autres, l'universalisme, supposé français, serait en butte au communautarisme, réputé "anglo-saxon". Pour les premiers, il faut bien mesurer les discriminations si l'on veut les combattre. Pour les seconds, les catégories mobilisées contribueraient à l'assignation d'identités raciales.

Entre les uns et les autres, l'écart n'est pourtant pas si grand. Tous s'accorderaient sur un même objectif : lutter contre les discriminations. Les oppositions ne portent donc pas sur les fins, mais sur les moyens. Or, même sur ce point, les différences sont bien moins importantes qu'il n'y paraît. En particulier, personne ne propose aujourd'hui d'introduire des catégories racialisées dans le recensement : il n'est question que des enquêtes publiques - au risque d'ailleurs de laisser le champ libre aux seuls sondages privés.

Surtout, nul ne récuse la mesure. Pour le HCI, Jean-François Amadieu conduit ainsi une étude quantitative sur les élus municipaux issus de l'immigration : les adversaires des "statistiques ethniques" ne dédaignent donc pas la "mesure de la diversité"... Certes, de peur d'encourager l'identification communautaire, ils refusent de prendre en compte les données "subjectives" - le "ressenti", c'est-à-dire non seulement le sentiment d'appartenance, mais aussi l'expérience des discriminations. Pour autant, ils n'hésitent pas à s'appuyer sur des données "objectives" - non seulement sur le pays de naissance des parents, mais aussi sur les noms et prénoms, soit des indicateurs indirects (et approximatifs) de l'origine. Bref, le différend porte bien sur les méthodes : selon les uns, on dispose déjà de tous les outils requis, alors que, pour les autres, il est nécessaire de se doter d'instruments nouveaux.

Ces faibles divergences rendent paradoxale la polémique actuelle. C'est qu'en fait ce débat en cache un autre : non pas "pour ou contre ?", mais "pour quoi faire ?". Or, faute de débattre sur les usages possibles de la mesure, on entretient la confusion. La commission Veil sur la diversité a bien rejeté les "politiques d'action positive à fondement ethnique ou racial", mais pas les "statistiques ethniques" - enquêtes à partir de données "objectives", voire "subjectives", comme le "ressenti d'appartenance" : au contraire, "le comité, pas plus que l'immense majorité des scientifiques, ne comprendrait qu'elles soient interdites, tant il est vrai que la lutte contre les discriminations suppose de pouvoir les mesurer".

Le chef de l'Etat a repris cette double logique dans son discours du 17 décembre 2008 : "Si la question des statistiques pour mesurer les inégalités et les discriminations liées à l'origine est ouverte, la question d'une politique fondée sur des critères ethniques ou religieux doit être close." A quoi serviraient donc ces statistiques ? Non pas à définir les catégories de l'action publique, mais seulement à en mesurer les effets éventuels. C'est pourquoi Yazid Sabeg ne prévoit pas d'attendre les conclusions du comité Héran pour rendre son propre rapport sur la promotion de la diversité. Il veut non pas mesurer pour combattre, mais seulement mesurer pour évaluer.

Certes, d'aucuns espèrent que la "mesure de la diversité" débouchera malgré tout, au-delà des "boursiers" déjà recrutés sur "critères sociaux", sur une action positive répondant spécifiquement à la discrimination raciale. D'autres à l'inverse craignent que les "statistiques ethniques" n'ouvrent la porte à des statistiques racistes, par exemple pour la criminalité. Reste que des statistiques conçues "à toutes fins utiles" pourraient bien, du moins à court terme, n'avoir qu'une fonction : mesurer pour mesurer. Demander "pour quoi faire ?" engagerait au contraire à les utiliser, en évitant leur instrumentalisation raciste, au service d'une action positive. A défaut d'un tel engagement, à quoi sert aujourd'hui la controverse ? Pour Nicolas Sarkozy, le bénéfice est clair : grâce à cet affichage, il paraît garder l'avantage sur la gauche en matière de diversité. Sans doute divise-t-il la majorité, mais plus encore l'opposition - sans parler des chercheurs.

Et si rien ne devait résulter de cette politique de la confusion, il en imputerait la responsabilité aux conservatismes de tous bords. Beaucoup de bruit pour rien ? En réalité, sa rhétorique aurait entretenu l'illusion, selon la formule du chercheur Patrick Simon, que "la lutte contre les discriminations" serait "passée à droite". Pourtant, l'inaction avérée de la gauche en ce domaine ne devrait pas suffire à faire prendre l'agitation de la droite pour une véritable action.

L'enjeu est d'autant plus important que la diversité permet au président de corriger l'image moins flatteuse que lui valent les quotas d'expulsions. Sans doute Yazid Sabeg prétend-il dissocier les deux sujets. Mais c'est bien le ministre de l'immigration qui, au nom de l'intégration, fait aujourd'hui de la diversité un label : non seulement cette ouverture rachèterait l'exclusion des étrangers, mais, surtout, la rigueur en matière d'immigration serait la condition de la générosité en matière de diversité. Or la suspicion généralisée à l'encontre des étrangers encourage les discriminations que subissent ceux qui leur ressemblent - autrement dit, les minorités visibles. Le débat sur les statistiques ne doit pas le faire oublier : xénophobie et diversité font rarement bon ménage.


Eric Fassin est sociologue à l'Ecole normale supérieure.

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