L'ENQUÊTE Sur le terrain et sur le net, dans les facs et les associations, les « identitaires » lyonnais tissent leur toile. Les récents « apéros saucissons » organisés en France mettent au jour la stratégie de ces nouveaux militants
Pas de local. Pas de chef. Mais étonnamment bien structurés. Les militants de Rebeyne seraient, selon eux, environ 70 à Lyon. Rebeyne, en parler lyonnais, ça veut dire révolte. C'est le nom qu'ils se sont donné. A Lyon seulement puisque la mouvance dont ils se revendiquent est présente partout en France. Les Identitaires.
Ils font régulièrement parler d'eux au travers d'actions plus ou moins spectaculaires. Présentés comme une frange de l'extrême droite, ou de la droite populiste à la mode italienne, la mouvance identitaire n'est pas nationaliste. Plutôt « patriote, attachée à la terre. Nous avons une triple identité, commente Damien Rieux, membre du mouvement depuis sa création, il y a environ 18 mois, une identité locale, nationale et européenne ».
Ce qui caractérise ces identitaires, c'est déjà leur âge. Ils sont jeunes, une vingtaine d'années tout au plus. Et un engagement très marqué. Ils cotisent entre 5 et 10 euros par mois et connaissent leur argumentaire sur le bout des doigts. Pas de jeunes, paumés et sans repères. Non, des jeunes intégrés dans une vie sociale et familiale, issus pour la plupart des classes moyennes. Des étudiants pour beaucoup, quelques artisans. Romain est étudiant à l'EM Lyon, « boursier ! » s'empresse-t-il d'ajouter, « et ce n'est pas avec l'argent de mes parents ». Damien, le fils de militant communiste, est en licence de communication. « Mais ici, on a tous les profils » ajoute-t-il, « on doit même avoir un chômeur… »
Des références politiques, mais pas de « pas de références religieuses », martèlent les militants, « mais on respecte l'héritage chrétien, s'attaquer à l'Eglise, c'est s'attaquer à notre culture », commente le jeune-homme présent sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean pour s'opposer au Kiss In, (embrassade géante), organisé par des associations pro gay qui luttent contre l'homophobie. « Moi, je ne suis pas croyant, raconte Damien, mais ça ne m'empêche pas de me trouver bien dans une église ». En revanche, moins d'empathie vis-à-vis de l'Islam. « A priori, on n'a rien contre , ce n'est pas notre culture, c'est tout », explique lentement Romain. « Sous prétexte de tolérance, de laïcité, on laisse tout faire. Ce qu'on veut, c'est défendre les identités, insistent les jeunes militants, celle des Tibétains, des Marocains ou des Indiens d'Amérique. Le problème, c'est qu'en France, c'est nous qui risquons devenir les Indiens. Le désastre, c'est l'émigration, la fuite des cerveaux vers les pays industrialisés ».
In fine, un discours qui trouve parfois écho. Et dans tous les milieux. Propagande sur internet, prosélytisme, nostalgie d'un âge d'or, valeurs morales, opposition à l'Islam... Bien qu'ils s'en défendent, ces identitaires, qui portent le germe de l'extrême-droite française, cherchent bien à recruter la jeunesse de notre époque
Geoffrey Mercier
gmercier@leprogres.fr
Des coups de com' qui font mouche
Avant de coller des affiches, les Identitaires lyonnais ont trouvé plus efficace pour faire parler d'eux. Leur fait d'arme ? L'invasion d'un Quick Halal à Villeurbanne. Leur vidéo de militants a fait le tour de France. Plus de 200 000 vues sur internet.
Actions à proximité du cercle du silence aux Terreaux, à la bibliothèque de la Croix-Rousse, lors des manifestations organisées par RESF...
Au final, des coups d'éclat, jamais de plainte. « On ne casse rien, on fait ça avec humour, se justifie Romain. Nous avons préparé notre coup un ou deux mois avant. Mais vous savez, depuis, on a reçu de nombreuses menaces de mort ». Car le halal, c'est l'un de leurs chevaux de bataille : « On est parfois obligé de prendre sa voiture pour ne pas manger halal, tempête le jeune homme. Quand vous êtes étudiant et que vous avez 5 ou 6 euros pour déjeuner, il vous reste les kebabs. Le halal, c'est aussi le financement de l'islam via les taxes de certification ».
G.M
Questions à Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'IRIS, spécialiste de l'extrême droite: pour eux, l'élément le plus « dissolvant », c'est l'Islam
D'où provient cette mouvance ? Quels sont ses liens avec l'extrême droite ?
Il y a un certain nombre d'animateurs qui ont fait leurs armes dans des mouvements d'extrême droite, parfois même activistes dans ces mouvances. Ils ont mûri leur réflexion et embarqué avec de nouveaux militants. C'est un mouvement historiquement nouveau.
Quel est le ciment idéologique des Identitaires?
On peut situer les identitaires entre le Mouvement Pour la France, de Philippe de Villiers et le Front National. Une sorte de droite populiste qui prend pour modèle la Ligue du Nord italienne.
Ils ont vraiment l'ambition de prendre le pouvoir?
Oui, ils ont effectivement cette ambition et surtout d'influer sur le climat politique en mettant dans l'air du temps un certain nombre de thèmes. Ils y réussissent de manière disproportionnée grâce notamment à leur activité sur le net.
Au fond, ils défendent quoi ?
Ils défendent plusieurs thèmes. Ce ne sont pas des Jacobins, ni des Souverainistes, ils sont favorables à une fédération des identités régionales dont le ciment civilisationnel. Ça passe notamment par le refus de l'immigration et le multiculturalisme. Pour eux, l'élément le plus « dissolvant », c'est l'Islam.
Recueillis par G.M
Des camps d'entraînement avec cours de combat au programme
Les jeunes Identitaires l'ont compris, la conquête se fait aussi sur le terrain : dans les facs, les clubs les associations. « Nous sommes cette jeunesse des camps d'été, des longues ascensions en montagne, des arts martiaux et des coups reçus. La jeunesse de l'effort, de la sueur et du dépassement de soi. Nous sommes cette jeunesse qui refuse toutes les drogues », indiquent-ils. Un programme qui s'appuie sur la restauration de certaines « valeurs morales ». Des camps de formation, les jeunes lyonnais ont eu l'occasion d'y participer, dans une maison de la banlieue d'Aix-les-Bains l'année dernière, en Savoie. Au programme, cours de combat, marches en forêt, et formation politique… La vie à la dure. Comme les grands.
Mais les Identitaires se donnent aussi une mission. « Certains parents nous soutiennent, ce qu'on fait est assez positif. On fait du sport, du foot, du rugby, des randonnées ». Mais dans sport, il y aussi sports de combats. Rebeyne a monté sa structure propre pour initier les militants au self-défense dans une structure au nom non-équivoque : « Les Lugdunum Torgnoles ». Tous les jeudis soirs, dans une salle de sport de la Presqu'île, ils sont un petit groupe à enfiler les gants. Prêts à en découdre.
G.M
La stratégie internet
Tout se joue d'abord sur le net. Les récents exemples d'organisation de pseudos apéros dans les quartiers à forte population musulmane en est l'exemple. A Lyon, en 48 heures, plus de 2 000 membres pour adhérer à l'idée. Parmi eux, des Lyonnais lambda. Mais également une frange de l'extrême droite la plus dure. Dans un communiqué, le FN soutient l'opération évoquant « élan festif et spontané qui vise à montrer, au grand jour, l'attachement du peuple Français à son mode de vie et à ses traditions aujourd'hui gravement menacées », commente Christophe Boudot, secrétaire général de la fédération du Rhône.
Rapidement, et devant les levées de bouclier, les organisateurs ont baissé les armes en renonçant à leur projet. A moins que le seul objectif soit de faire parler d'eux. Car ça marche.
L'opération saucisson à la Goutte d'Or a été reprise dans tous les médias nationaux. Idem localement pour l'opération lyonnaise « Rosette et pinard ».
G.M
Des résultats électoraux en Provence et en Alsace qui ouvrent la voie
Frange de l'extrême droite ? Les jeunes de Rebeyne ont un petit sourire un coin. Tout au plus consentent-ils à considérer que les gens leur mettent cette étiquette. Un groupe pourtant affilié au Bloc Identitaire. Un mouvement fondé en avril 2003 par Fabrice Robert, l'un des dirigeants d'Unité Radicale, mouvement dissous en août 2002 après la tentative d'assassinat perpétrée par l'un de ses membres, Maxime Brunerie, contre Jacques Chirac le 14 juillet 2002. Les proximités idéologiques avec des mouvements plus radicaux sont bien réelles. L'agence de presse Novopress.info peut également être intégrée dans ce courant, puisqu'elle a été initiée par Les Identitaires et dirigée aujourd'hui par Bruno Larebière, un ancien du journal Minute. Elle dispose en parallèle de nombreux relais dans les régions dites « à forte identité ».
Mais le combat est également dans les urnes. A l'occasion des régionales de 2010, une liste est présentée en Languedoc-Roussillon intitulée « Ligue du Midi » qui recueille 0,7 % des voix, et en Provence-Alpes-Côte d'Azur est présentée une liste baptisée « Ligue du Sud » autour de Jacques Bompard (ex FN), qui recueille 2,7 % des voix. Le score le plus élevé est réalisé dans le Vaucluse (8,4 %).
En Alsace, la liste d'Alsace d'abord a obtenu 4,98 % des suffrages. Forts de ces résultats, les identitaires lyonnais envisagent également de se positionner lors de prochaines échéances électorales. Pourquoi pas les cantonales. Car les élections pour ses jeunes se résument le plus souvent à l'abstention ou au bulletin blanc. « A Lyon, personne ne nous représente commentent-ils.
G.M
Repères
> Le Bloc-Identitaire, mouvement national créé en 2003. Parti politique depuis 2009
> Pour un fédéralisme européen
> Revendique 2 000 adhérents en France, 70 à Lyon
> Opposition au métissage ethnique, à la mondialisation, l'islamisation
> Publication : « Identitaires »
> Président: Fabrice Robert, ancien membre d'Unité Radicale
Rhône - Identitaires lyonnais : la nouvelle extrême droite tisse sa toile - Le Progrès
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