Après une brève envolée sur les «tirailleurs, Spahis, Tabors […], tous ces soldats épiques, descendus de l’Atlas et des Aurès pour faire don de leur vie à la France», le Premier ministre est entré dans le vif du sujet. «Aujourd’hui, les personnes de confession musulmane et leurs lieux de culte sont encore trop souvent l’objet de discriminations, et la cible d’agressions que nous ne pouvons tolérer», a-t-il souligné. Ajoutant que, «l’année dernière, 30% des faits de violence raciste - des menaces dans la très grande majorité des cas - ont visé des personnes de confession musulmane». «Oui, il y a en France des actes antimusulmans», a-t-il martelé.
Le choix des mots, dans le discours d’un ministre, a son importance. Plutôt que de parler d’islamophobie, comme le font couramment les musulmans, Fillon a préféré évoquer des actes antimusulmans. Comprendre qu’on a le droit de critiquer l’islam, mais pas ses fidèles ?
«détournement». Le Premier ministre a enchaîné sur «la question du voile intégral». Rappelant que le projet de loi d’«interdiction de la dissimulation du visage» sera discuté à partir du 6 juillet. Et demandant l’aide des musulmans pour lutter contre «cette pratique minoritaire, qui bafoue les règles fondamentales du vivre-ensemble et qui heurte nos concitoyens», et «méprise votre adhésion pleine et entière aux principes laïcs et républicains». «C’est pour cela que vous devez vous dresser, au premier rang, contre ce détournement du message religieux, a lancé Fillon aux musulmans. C’est à vous, les premiers, de faire gagner l’intelligence contre l’obscurantisme, la tolérance face à l’intransigeance.»
Poliment, l’assistance, triée sur le volet puisque l’accès se faisait sur invitation - des portiques de détection d’armes ayant même été installés à l’entrée - a applaudi.
L’occasion était solennelle. C’est la première fois dans l’histoire de la République qu’un Premier ministre inaugure une mosquée. Avec ses 3 000 m2, cette dernière, aménagée dans un ancien garage Renault, après près de onze ans de travaux, sera l’une des plus vastes de France. Sa façade a été arabisée avec des ouvertures façon mauresque et elle est coiffée d’un dôme, et surmontée d’un petit minaret. Les services de Fillon n’ont pas choisi cette mosquée par hasard. Elle est située en banlieue. A Argenteuil (Val-d’Oise), dont on estime que près d’un tiers de la population est musulman, soit 28 000 personnes sur 100 000 habitants. Et à quelques encablures de la fameuse dalle où Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait lancé, le 26 octobre 2005, cette apostrophe culte : «Vous en avez assez de cette bande de racailles ? Eh bien, on va vous en débarrasser.»
«discrédit». Enfin, la mosquée Al-Ihsan appartient à la Fédération de la mosquée de Paris, qui revendique un islam modéré et républicain. Dalil Boubakeur, le très politique recteur de ce dernier lieu de culte, était présent, ainsi que Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), et vice-président du Rassemblement des musulmans de France, très lié au Maroc.
Lors de son audition par la mission parlementaire d’information sur le port du voile intégral, le 14 octobre 2009, ce même Moussaoui avait dénoncé «la montée inquiétante des actes racistes et islamophobes», et demandé «solennellement la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information dont l’objectif serait de dresser un état des lieux de la montée de l’islamophobie».
Dans son discours, le Premier ministre a rappelé que Brice Hortefeux venait de signer, avec le CFCM, une «convention-cadre pour mettre en œuvre un suivi statistique et opérationnel des actes hostiles aux musulmans de France».
Le ministre de l’Intérieur était annoncé, ce qui est logique puisqu’il est également chargé des cultes. Il a brillé par son absence. Selon Matignon, il a préféré plancher sur le dossier des collectivités territoriales en discussion hier soir au Sénat.
Le maire d’Argenteuil, le socialiste Philippe Doucet, invité à cette inauguration, a jugé «assez stupéfiante» l’absence d’Hortefeux. Il y a vu la marque du «discrédit» qui touche le ministre de l’Intérieur depuis sa condamnation début juin pour «injure raciale» après ses propos sur les Arabes, un jugement dont il a fait appel. Pour l’élu local, ce ministre «a perdu une part importante de sa crédibilité». Quant à la visite de Fillon, elle n’avait, selon lui qu’un objectif : «Racheter la faute du gouvernement sur le mauvais débat à propos de l’identité nationale.»
Hexagone: A Argenteuil, Fillon propose un deal aux musulmans
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