Le pire est écarté, mais l’inquiétude reste de mise. La réforme constitutionnelle de 2008 prévoyait la création d’un Défenseur des droits, une sorte de super-médiateur chargé de veiller au respect des droits et libertés fondamentales. Selon la version du projet de loi adoptée par les sénateurs en commission des lois ce mercredi, cette nouvelle institution absorberait la Halde en récupérant la quasi-totalité de ses compétences. Tout est dans le quasi. Car derrière cette apparente rationalisation du fonctionnement de quatre autorités indépendantes — le Médiateur de la République, la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité, le Défenseur des enfants et, dorénavant, la Halde —, il semble subsister une volonté de mettre au pas une autorité administrative mal-aimée du pouvoir législatif.
Une lecture honnête du projet de loi organique adopté en commission des lois montre que l’essentiel est sauvé. Le Défenseur des droits pourra être saisi par les victimes de discrimination selon les mêmes modalités que pour la Halde, dont il récupère la totalité des pouvoirs d’enquête. Il pourra, de droit, présenter ses observations devant les tribunaux civils, et notamment saisir le juge des référés si des employeurs, publics ou privés, s’opposent à des vérifications sur place. Ses compétences en matière de médiation sont sauvegardées. Enfin, le Défenseur des droits conserve les missions d’études, d’information et de sensibilisation de la Halde.
Alors, dans quel détail le diable se niche-t-il ? En fait, une seule compétence n’a pas été reprise par la commission des lois du Sénat. Elle est décrite à l’article 11 de la loi relative à la Halde, qui dispose : « La haute autorité peut formuler des recommandations tendant à remédier à tout fait ou à toute pratique qu’elle estime être discriminatoire, ou à en prévenir le renouvellement. » Son équivalent, dans le nouveau texte (article 21), est devenu : « Le Défenseur des droits peut faire toute recommandation qui lui apparaît de nature à garantir le respect des droits et libertés de la personne lésée et à régler les difficultés soulevées devant lui ou à en prévenir le renouvellement. » Ce pouvoir de recommandation perd donc sa portée générale, pour n’être relié qu’aux saisines individuelles dont le Défenseur fera l’objet.
Or, c’est au nom de cet article 11 que la Halde avait adressé au gouvernement des recommandations sonnant comme de sévères critiques envers la législation en vigueur. On se souvient en particulier de l’avis de la Halde sur les tests ADN pour les candidats au regroupement familial, mais aussi de rapports spéciaux publiés au Journal officiel, comme celui recommandant au gouvernement d’ouvrir la pension de réversion aux couples pacsés ou celui demandant de mettre fin à diverses discriminations subies par les « gens du voyage ». Certaines de ces interpellations avaient passablement agacé les parlementaires, et particulièrement Jean-Jacques Hyest, le président de la Commission des lois du Sénat, qui n’a jamais caché son intention de tirer sur la bride. (cf. ce billet)
Avec le nouveau texte, il sera plus difficile pour l’autorité d’adresser de telles critiques d’ordre général aux pouvoirs publics. En outre, le Défenseur disposera personnellement du droit de demander à son collège une seconde délibération, voire de « s’en écarter » si une décision venait à lui déplaire. De quoi jeter la suspicion sur l’indépendance de l’institution, lorsqu’on sait que le Défenseur est désigné par le président de la République.
Cette lecture est-elle injuste ? Certains sénateurs ont suffisamment fait montre d’une hostilité à l’égard de la Halde pour ne pas susciter la méfiance lorsqu’ils prétendent aujourd’hui faire de la belle ouvrage législative (cf. ce communiqué). Il suffirait en fait de deux ou trois légers amendements pour que cessent à leur égard les procès d’intention qu’ils ont eux-mêmes provoqués. Et surtout, rendez-vous est donné au débat budgétaire de l’automne prochain : par-delà de la mutualisation rationnelle de ses ressources, le Défenseur des droits conservera-t-il les moyens des quatre autorités regroupées ? À ce jour, aucune garantie n’a été donnée.
• Alain Piriou •
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