SOS Racisme Partenaire de Quat'rues

mardi 27 octobre 2009

GISTI - Saisonniers agricoles : premières victoires

Plein droit, 82, octobre 2009
« La police et les étrangers (2) »

ÉDITO

LE sort réservé aux travailleurs saisonniers, fait rarement la une de l’actualité et l’action de ceux qui les défendent passe le plus souvent inaperçue [1]. Pourtant, leurs mobilisations sont, par bien des aspects, exemplaires, tout comme l’est le statut imposé par le patronat et le législateur à cette catégorie de salariés « en servage ». Raison de plus pour insister lorsque l’actualité récente montre que, même pour ces étrangers les plus précaires, la mobilisation collective peut déboucher sur des avancées significatives. De quoi est-il question ici ?

Des étrangers, séjournant sous couvert d’une carte de séjour « travailleur saisonnier », se présentent dans les services de la préfecture des Bouchesdu- Rhône afin de demander un changement de statut : ils réclament une carte de travailleur permanent (« salarié ») en raison de leur présence prolongée en France. Ils sont si nombreux que les services se retrouvent engorgés en avril et mai 2009. Sur 885 dossiers, 485 reçoivent une réponse favorable. Et ces personnes, cantonnées à un statut caractérisé par sa grande précarité, dépourvues de droits sociaux (pas de droits au chômage ou encore à la retraite) et soumises à des conditions de travail « hors norme », peuvent enfin espérer être reconnues comme des travailleurs ordinaires. Dans son numéro daté du 13 juillet 2009, ale quotidien régional La Marseillaise titrait : « 485 victoires dans le département », évoquant, une fois n’est pas coutume, l’envie du Collectif de défense des travailleurs étrangers saisonniers dans l’agriculture (Codetras) de fêter ce premier succès.

CETTE issue favorable a été rendue possible par le combat politique et juridique mené par le Codetras. En effet, ce revirement constaté dans les pratiques administratives – jusqu’alors les dossiers n’aboutissaient jamais… quand ils étaient instruits, ce qui n’était pas toujours le cas – a pour origine la délibération de la Halde [2] qui avait elle-même été saisie par le collectif sur la base d’un mémoire fort circonstancié sur les conditions de vie et de travail des saisonniers ainsi que sur leur statut juridique. La Haute Autorité, concluant au traitement discriminatoire des salariés, « recommande (alors) au ministère de l’immigration de procéder à un réexamen de la situation des travailleurs saisonniers en vue de la délivrance d’un titre de séjour ».

C’est dans ce contexte, sous la surveillance de la Halde, que le ministère a contraint la préfecture à accorder des cartes « salarié » sans autre précision. La préfecture des Bouches-du- Rhône s’est dotée arbitrairement de ses propres critères pour ce changement de statut : elle exige des personnes concernées la preuve qu’elles ont obtenu dix contrats successifs d’une durée de huit mois. Les refus de délivrance de la carte « salarié » sont généralement motivés par une insuffisance de contrats ou des durées de contrats trop courtes. Or, exiger des contrats de travail d’une durée de huit mois revient à reconnaître explicitement les pratiques patronales abusives qui ont pu se développer grâce à la complicité passive des autorités administratives. La Halde l’a mis en évidence dans sa délibération : « L’enquête a révélé qu’un certain nombre de saisonniers occupaient en réalité des emplois de longue durée systématiquement reconduits d’une année sur l’autre avec le consentement des services préfectoraux ».

AUTREFOIS, en effet, si la réglementation prévoyait la possibilité d’atteindre une telle durée, ce n’était qu’à titre exceptionnel et dérogatoire. Mais, en pratique, la norme prévue par la loi – durée maximale de six mois – était toujours dépassée. Depuis la réforme opérée par la loi du 24 juillet 2006, il n’est plus possible d’atteindre cette durée de huit mois puisque la carte « travailleur saisonnier » ne permet plus de séjourner et de travailler plus de six mois par an. Une circulaire du 10 juillet 2009 du ministre de l’immigration vient d’ailleurs de le rappeler… tout en prévoyant certains aménagements pour arranger les exploitants agricoles.

Malgré cet évident succès, la lutte pour la dignité des travailleurs saisonniers est loin d’être achevée. En premier lieu, il convient de dénoncer les critères retenus (en particulier, dix contrats successifs de dix mois) par la préfecture pour opérer le tri entre ceux qui peuvent changer de statut et ceux qui sont cantonnés à la carte « travailleur saisonnier ». Ensuite, il est important d’accompagner les nombreux dossiers qui ont déjà été soumis aux tribunaux. Le Conseil d’État, saisi en 2008 dans l’affaire emblématique Aït Baloua [3] n’a pas encore pris position sur le droit à une carte de séjour d’un an « salarié » lorsque la personne peut faire valoir une présence prolongée en France sous couvert du statut « saisonnier ». Son arrêt est attendu. La Halde, de son côté, s’est réservé le droit d’intervenir dans les dossiers individuels. Dans ses observations sur le dossier Aït Baloua, elle conclut aux côtés de l’intéressé et du Codetras que ce monsieur doit être regardé comme quelqu’un qui occupait un emploi permanent, faisant de la France son lieu de résidence habituelle depuis plus de vingt ans.

Le cas des travailleurs saisonniers constitue un cas exemplaire du rôle économique que les pouvoirs publics entendent faire jouer à l’immigration de travail : l’assignation de ces étrangers à un statut administratif des plus précaires est la meilleure garantie de pérenniser leur exploitation économique. Mais cette complicité entre le pouvoir préfectoral et le patronat local n’est pas une fatalité. La mobilisation politique et le recours au droit peuvent parfois mettre en échec le règne de l’arbitraire.


Notes

[1] Il y a un an tout juste la revue Plein droit consacrait son dossier spécial aux saisonniers agricoles étrangers sous le titre « Saisonniers en servage » (n° 78, octobre 2008).

[2] La délibération date du 15 décembre 2008.

[3] Voir dans le n° 78 de Plein droit précité, « Un collectif de lutte contre l’exploitation », p. 9.

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