Ils devaient changer la manière d’instruire les affaires de discrimination. Mais les pôles anti-discrimination créés il y a deux ans ne font pas recette. Dans chacun des 181 tribunaux de grande instance que compte l’Hexagone, ces pôles – composés de magistrats spécialisés – attendent d’être saisis. Et les plaintes restent rares. En 2008, les juridictions en ont, en moyenne, reçu trois chacune.
Comment comprendre le peu d’empressement des victimes à saisir la justice ? Par la difficulté du combat judiciaire d’abord. Nadia, commerciale dans le secteur automobile, qui a mené ce combat, peut en témoigner : « Mon patron exigeait de moi que je taise mon nom de famille pour ne pas faire fuir la clientèle. J’ai beau avoir reçu le soutien de l’inspection du travail, je bataille encore en justice, sept ans après le début de l’affaire. »
Chaque année, sur les centaines de plaintes déposées, seule une vingtaine donnent lieu à une condamnation. « Autant dire qu’une vraie impunité continue de régner », regrette le président du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Mouloud Aounit.
"Consentir à une médiation, ce serait comme accepter d’être achetée"
Résultat : les victimes finissent par se tourner vers d’autres modes de résolution des conflits. Deux procédures ont tout particulièrement leurs faveurs : la médiation et la transaction pénale, toutes deux proposées par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde). « Dès lors que les deux parties en conviennent, nous pouvons jouer le rôle d’intermédiaire et faciliter la conclusion d’un règlement financier », confirme Fabien de Chavanne, juriste à la Halde. Atout de tels dispositifs : leur rapidité et leur confidentialité. Et, pour les victimes, la quasi-certitude d’obtenir réparation.Ces procédures n’en font pas moins polémique. Elles heurtent notamment le vice-président de SOS Racisme, Samuel Thomas. «Nous militons pour que les affaires de discrimination arrivent devant le juge, parce que la vertu pédagogique des procès est irremplaçable. C’est elle qui fait progressivement évoluer les mœurs. »
Une conviction qui ne fait pas oublier au responsable associatif la difficulté qu’il peut y avoir à aller en justice. « Se lancer dans un contentieux judiciaire constitue, il est vrai, une réelle épreuve, mais c’est par cette dénonciation que les victimes se rendent utiles au reste de la société. » Nadia reprend l’argument à son compte : « J’ai parfois l’impression que je vais perdre la tête mais je continue le combat pour tous ceux qui ont été victimes de discrimination avant moi au sein de mon entreprise. Du coup, pour moi, consentir à une médiation, ce serait comme accepter d’être achetée…»
"Il suffit de quelques décisions de justice fortes et bien médiatisées pour sensibiliser les entreprises"
Une autre affaire, révélatrice de la différence d’approche entre la Halde et SOS Racisme, alimente la controverse depuis plusieurs mois. Une femme d’origine africaine s’est récemment vu refuser l’embarquement pour Moscou sur une très fameuse compagnie aérienne européenne. Et ce à la suite d’un accord passé entre la compagnie et les autorités moscovites, qui prétendent vouloir prévenir les attaques dont font l’objet les personnes à la peau noire sur le sol russe.« Si ce dossier avait été présenté à un juge, les méthodes de cette entreprise auraient pu être dénoncées et condamnées », assure Samuel Thomas. Mais la jeune femme a préféré opter pour une médiation, via la Halde. Pour Fabien de Chavanne, il n’est pas nécessaire que chaque affaire débouche sur un procès, « il suffit de quelques décisions de justice fortes et bien médiatisées pour sensibiliser les entreprises. »
Alors médiation ou procès ? Au Mrap, on refuse toute position dogmatique. « L’intérêt de la victime est notre seule priorité. Elle seule sait ce qui est bon pour elle », assure Mouloud Aounit. «En revanche, lorsqu’une grande entreprise d’État ou une organisation financée par des fonds publics se rend coupable de discrimination, nous faisons tout pour que la victime porte plainte. De sorte que les subventions versées à l’entreprise soient conditionnées au respect du droit. »
Marie BOËTON |
Les victimes de discriminations hésitent encore à porter plainte - France - la-Croix.com
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