Il existe " une impossibilité persistante à mesurer de façon quantifiée, scientifique et totalement satisfaisante les résultats des politiques diversité dans tous les domaines", comme le rappelle Claude Bébéar dans son rapport 2004 réactualisé et remis à M. Yazid Sabeg, au début du mois de mai. Le récent débat sur les statistiques de la diversité a presque réussi à nous faire oublier les victimes de discriminations qui constituent, rappelons-le, un délit pénal.
En effet, si les statistiques de la diversité, même imparfaites, peuvent être utiles, particulièrement pour les médias, afin de disposer d'un reflet de la société, elles ne sauraient tenir lieu de politique de lutte contre les discriminations, sauf à créer des quotas, ce dont personne ne veut, y compris en Grande-Bretagne.
La France a construit au cours de la dernière décennie un solide arsenal législatif antidiscrimination. Son socle est constitué de quatre lois, celle de novembre 2001, qui instaure le cadre général de lutte contre les discriminations, celle de décembre 2004, qui crée la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), celle de mars 2006 pour l'égalité des chances, qui renforce ses pouvoirs et, enfin, celle de mai 2008, qui précise la définition des discriminations. Puisque le cadre législatif et juridique existe, il faut le faire vivre, et la loi doit être appliquée. Nous sommes loin du compte.
Quelle entreprise reconnue comme discriminante s'est vue, par exemple, condamnée par les tribunaux à verser l'amende maximale prévue par la loi ? Aucune, puisque, au-delà d'une amende plafond, la condamnation est portée sur le casier judiciaire de la personne morale. La lutte contre les discriminations exige une plus grande exemplarité des jugements. L'indulgence fait le lit de l'impunité.
La Halde, par son travail de signalement, de médiation et de réparations individuelles, est un élément important de cette lutte, mais ne peut pas dispenser la puissance publique d'un véritable volontarisme et d'un engagement fort de tous les acteurs économiques et sociaux.
De même, la chancellerie s'était engagée, en juin 2007, à créer des pôles antidiscrimination composés d'un magistrat du siège et d'un délégué du procureur dans tous les parquets. Elle promettait aussi d'encourager les procureurs de la République à se saisir des affaires signalées. Pourtant, malgré la signature de conventions, syndicats et associations sont toujours seuls pour accompagner les victimes dans leurs démarches et les soutenir au long d'interminables et coûteuses procédures. Le blocage avéré des parquets handicape le plaignant comme les associations. Les fréquents classements sans suite, les lenteurs des procédures, la non-prise en compte des preuves apportées par les campagnes de testing contribuent à l'autocensure et à la résignation des victimes. Aussi serait-il enfin profitable à cette lutte que le législateur autorise les plaintes collectives.
Par ailleurs, le rapport publié le 28 avril par la Commission nationale de la déontologie de sécurité est très critique sur les pratiques quotidiennes de la police. La lutte contre les discriminations porte sur les abus de contrôles au faciès accompagnés d'inutiles fouilles au corps et menottage.
Ces pratiques alimentent chez les victimes et les témoins le sentiment d'injustice et le ressentiment. Les interpellés devraient pouvoir identifier systématiquement les agents chargés du contrôle dont ils ont fait l'objet. Dans le cadre de la prévention des discriminations, il faudrait envisager une formation initiale et continue des agents de la force publique, de même que l'inspection générale des services devrait être davantage sensibilisée et impliquée.
Le logement est également un secteur essentiel de discriminations tant dans le logement privé que social. A cet égard, le respect de la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) est une obligation tant légale que morale. Or celle-ci est encore loin d'être appliquée partout et dans la même mesure. Ne faudrait-il pas, en outre, protéger les candidats au logement par l'anonymisation des demandes et encourager l'intermédiation par des associations ou bailleurs sociaux pour mobiliser le parc privé.
Quant au secteur de l'emploi, c'est sans doute le plus exposé aux pratiques discriminatoires. Il est temps que le décret d'application de la loi de mars 2006 sur la généralisation du CV anonyme soit enfin publié et appliqué. D'autres outils existent : le recrutement par habileté, la formation des recruteurs et managers, l'audit interne (ou autotesting) des discriminations, le tutorat, etc. Il faut également permettre aux partenaires sociaux de mieux s'impliquer dans les affaires de discrimination comme dans les politiques préventives internes. Enfin, le législateur devrait rendre obligatoire la tenue d'un registre des candidatures à l'embauche. Ce registre serait consultable par toutes les parties, recruteurs comme recrutés.
Et puis, il y a les coupables. C'est toute une pédagogie de la lutte antidiscrimination qu'il nous faut bâtir en leur direction. Elle devrait avoir un volet constructif au moyen de campagnes grand public sur les bonnes pratiques dans le monde de l'entreprise notamment, de plans de formation des acteurs concernés, de la mise en valeur de réussites individuelles ou collectives. Mais cette lutte doit également comporter un volet accusateur. Des instruments efficaces existent comme le testing, la révision des règlements intérieurs tenant compte de la lutte contre les discriminations et leur affichage systématique. Enfin, et ce qui aura le plus de poids car il jette le discrédit sur une entreprise et ses marques : le naming and shaming. Nommer et entacher la renommée pèsent non seulement sur le discriminateur, conduisent à l'information du grand public, mais aussi, par sa valeur d'exemplarité, modifient en profondeur les comportements.
Les discriminations et le racisme se nourrissent l'un l'autre et renforcent les crispations sociales. Il y a urgence pour l'actuel gouvernement à s'engager résolument dans la lutte contre toutes les discriminations.
Patrick Gaubert est président du Haut Conseil à l'intégration et président de la Licra.
Christian Charrière-Bournazel est bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris.
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