L'accusé a évoqué ses problèmes d'alcool, à l'origine de son crime
Pour les proches de la victime, le crime raciste ne fait auncun doute
Oullins : la question du racisme s'invite aux assises
A ’époque, le meurtre avait soulevé une très vive émotion. Pourquoi Jean-Marie Garcia avait-il tué Chaïb Zehaf, le 4 mars 2006, à Oullins, dans la banlieue sud de Lyon ? Les deux hommes sortaient d’un bar, ils avaient beaucoup bu. Garcia (39 ans à l’époque) avait tué au pistolet automatique un Algérien de 40 ans, père de trois enfants. Le crime survenait juste après la mort d’Ilan Halimi, torturé à mort par des ravisseurs qui espéraient une rançon, pensant que le garçon ne pouvait être que riche, puisque juif. Et la question du racisme s’était immédiatement posée. Dès le lendemain des faits, c’est d’ailleurs l’une des premières questions que les policiers avaient posé à l’auteur, qui reconnaissait le meurtre, pas le racisme...
A ’époque, le meurtre avait soulevé une très vive émotion. Pourquoi Jean-Marie Garcia avait-il tué Chaïb Zehaf, le 4 mars 2006, à Oullins, dans la banlieue sud de Lyon ? Les deux hommes sortaient d’un bar, ils avaient beaucoup bu. Garcia (39 ans à l’époque) avait tué au pistolet automatique un Algérien de 40 ans, père de trois enfants. Le crime survenait juste après la mort d’Ilan Halimi, torturé à mort par des ravisseurs qui espéraient une rançon, pensant que le garçon ne pouvait être que riche, puisque juif. Et la question du racisme s’était immédiatement posée. Dès le lendemain des faits, c’est d’ailleurs l’une des premières questions que les policiers avaient posé à l’auteur, qui reconnaissait le meurtre, pas le racisme...
La cour d’assises du Rhône le juge à partir d’aujourd’hui, et va tenter d’éclaircir le mobile. Jean-Marie Garcia affirme qu’il a pris peur, qu’il se sentait menacé. Les proches de Chaïb Zehaf pensent qu’il s’agit d’un crime raciste et veulent que la question soit clairement évoquée au procès, qui durera toute la semaine. Pour cela, la famille a fait citer le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, et le philosophe Bernard-Henri Lévy (actionnaire de Libération). A l’époque, ce dernier faisait, dans ses Carnets du Point, le lien entre la mort de Zehaf et celle d’Ilan Halimi, un mois plus tôt. «Deux enfants de la République, juif dans un cas, arabe dans l’autre», écrivait l’intellectuel, selon qui les marches silencieuses –associant, dans chacun des cas, SOS Racisme, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et l’Union des étudiants juifs de France– prouvaient qu’il n’y avait pas «deux poids, deux mesures».
L’entourage de la victime estimait que l’enquête initiale avait été bâclée et la thèse du crime raciste trop vite écartée. «Les juges ont eu une vision étroite de ce dossier», pense encore François Saint-Pierre, avocat de l’épouse et du demi-frère de Chaïb Zehaf, qui considère ce sentiment «plus profond qu’on ne croit». Pour lui, les magistrats n’ont sondé que l’hypothèse d’un racisme assumé, formulé. Pas celui d’un racisme plus enfoui et refoulé. Très vite, un collectif, fort de plus de 500 signatures d’élus Verts ou communistes, de membres d’associations comme la Ligue des droits de l’homme ou le Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples (Mrap), réclame «la vérité sur l’assassinat de Chaïd Zehaf». Dans la foulée, le Mrap se constitue partie civile. Mais sa démarche est jugée irrecevable au motif que le mobile raciste du crime n’est pas établi.«Alcoolique basique»
Ce samedi 4 mars 2006, Jean-Marie Garcia a commencé sa journée en faisant «la tournée de l’alcoolique basique», comme il dira plus tard à la juge d’instruction. Il boit depuis son adolescence, a fait deux cures de désintoxication, et replongé. Les psychiatres parlent d’un homme souffrant de carences affectives depuis l’enfance. Sa mère, violée assez jeune par un beau-père qu’elle a fini par épouser, l’a conçu avec un autre homme, qu’elle a rejoint plus tard. A 10 ans, le garçon a découvert que sa mère trompait son père et en a apporté la preuve à ce dernier. Les parents divorcent, la mère disparaît trois ans, l’enfant est élevé par un oncle, puis par ce père pied-noir d’origine espagnole, adepte des Témoins de Jéhovah, qui a donné à ses enfants une éducation extrêmement stricte. A l’adolescence, Jean-Marie Garcia se drogue et veut devenir armurier. En réaction, pense-t-il, aux Témoins de Jéhovah, qui prohibent les armes. Il joue parfois à la roulette russe, et conserve en souvenir une balle logée sous le nerf optique, que les médecins n’ont pu extraire. Ce 4 mars, il va de bar en bar, à la dérive. Trois mois plus tôt, il a trouvé sa maison vide: sa femme était partie avec leurs trois enfants. Il s’est réfugié chez sa mère, fait de plus en plus souvent la tournée des comptoirs. Le jour du meurtre, il a commencé par le Bar des beaufs, à Oullins, bu des bières très alcoolisées et «cinq à huit» whiskies purs. Dans l’après-midi, il repasse chez sa mère, se douche, se change. Elle veut le prendre en photo, car elle le trouve, dira-t-elle, «propre et bien habillé». Il lui dit qu’il part «aux filles». Mais avant de sortir, récupère sous son oreiller un Beretta parabellum qu’il prend souvent le soir, pour se sentir «protégé». Une arme de guerre, récemment achetée 3000 euros.
Vers 21h45, Garcia débarque au Bar du pont, dans le centre d’Oullins. Des témoins diront qu’il est arrivé en même temps que sa victime. Lui, affirme que non. Il retrouve son demi-frère, ainsi qu’un autre homme, au comptoir. Ils boivent encore. Garcia est chaud, avec plus de 2 grammes d’alcool dans le sang. Il sort un instant le pistolet, pour «faire le beau». L’arme est aussi chargée que lui: dix cartouches glissées avant de sortir. «Avoir un Beretta vide à la ceinture, autant avoir un bâton», dira-t-il à la juge.
«A bout touchant appuyé»
A son domicile, les enquêteurs trouveront un fusil à pompe, une Winchester, des revolvers, un pistolet-mitrailleur, des grenades, des explosifs, etc. Une cagoule également, ainsi que des paires de gants. Du matériel de gangster plus que de passionné, mais Garcia n’a jamais voulu dire d’où provenaient ces armes. Dans le passé, il a été condamné plusieurs fois pour des violences. Notamment en 2000, dans des circonstances évoquant de façon troublante le drame du 4 mars 2006. Parce qu’il avait dérapé au frein à main devant eux, il a été pris à partie devant un bar d’Oullins par un «groupe de jeunes Nord-Africains», racontera une patronne du bistrot. Lui parle de «racailles». Il est revenu avec un pistolet 9 mm, a tiré. Le groupe était parti et il s’en est sorti avec deux mois de prison ferme. Au Bar du pont, l’ambiance est plutôt calme. Le café retransmet un match de l’Olympique lyonnais et les clients sont contents car Karim Benzema, jeune star locale, a marqué. Puis le match se termine, la salle se vide. A partir de là, aucun des acteurs ne fait le même récit. Tous ont la mémoire défaillante, ou de bonnes raisons de mentir. Garcia tire une première fois en l’air, dans le bar, en disant «Je suis armé, je vais vous buter», selon le patron du bar. Il expliquera s’être senti menacé, sans préciser par qui. Le patron le met dehors, et la scène se poursuit devant le bar, sans beaucoup plus de témoignages fiables. Le meurtrier affirme qu’il a vu venir vers lui Chaïb Zehaf et son cousin. Il aurait pris peur en voyant Chaïb mettre une main dans son dos. «Pas eu envie d’attendre d’avoir un couteau dans le foie pour riposter», expliquera-t-il à un psychiatre. Il fait deux tirs «de sommation» puis vise Chaïb «centre masse tête», comme on dit à l’armée. Le cousin de Chaïb décrit, lui, comment Garcia les a braqués brutalement avant de lui tirer dessus, puis sur Chaïb. Riverains et badauds ne verront que la fin de la scène. Ils racontent une séquence très froide, un tireur très déterminé. Chaïb est atteint au sommet du crâne, «à bout touchant appuyé». Puis une autre fois à la tête, et deux fois au thorax, à distance. Son cousin, touché à un bras, affirmera le lendemain à Libération qu’il a entendu le meurtrier crier «Barrez-vous, enculés d’Arabes». Phrase qu’il ne répétera jamais aux enquêteurs.
Sur place, les policiers trouvent quelques témoins. Aucun n’évoque les propos racistes. Mais quelques jours plus tard, un demi-frère de Chaïb Zehaf, Abdelhalim, en trouve d’autres qu’il convainc d’aller témoigner. Il organise de véritables reconstitutions, car il a l’impression que les policiers ne prennent pas l’affaire au sérieux et écartent trop vite la thèse raciste. Un jeune homme, Sid-Ali, que les policiers ont voulu arrêter le soir du meurtre, affirme avoir entendu «sale Arabe, sale race de merde», au moment où Garcia tirait. Son témoignage laisse la justice sceptique, qui ne comprend pas pourquoi il n’a pas parlé plus tôt et estime qu’il était trop loin pour entendre ce qui se disait. Pourtant, selon les experts qui ont reconstitué le déroulement du meurtre, le récit du jeune homme est le seul à coller à leurs propres observations. Un autre témoin affirme qu’il a entendu le cousin répéter: «Attrapez-le, il vient de nous traiter de sales Arabes!» Mais selon les policiers arrivés après le meurtre, son témoignage ne tient pas.
«Tous des scorpions»
Les magistrats ont finalement écarté la circonstance aggravante du racisme, estimant les déclarations «confuses et contradictoires». Par ailleurs, les enquêtes dans l’entourage de Garcia n’ont pas révélé de comportements ou propos racistes dans le passé. Dans l’usine très métissée où il fabriquait des portes pare-balles pour les Airbus, il n’a jamais eu de problèmes. «J’ai des copains maghrébins, j’ai vécu dans des foyers Sonacotra, des immeubles cosmopolites, dit-il à la juge. Je ne juge pas à la race.» Son demi-frère confirme: «A l’école, il était avec des Arabes. Son père est pied-noir, moi je suis d’origine juive, ma mère est italienne. Je ne vois pas comment quelqu’un de raciste se mêlerait avec les gens de cette façon.» Reste l’hypothèse d’un retour du refoulé, une fois désinhibé par l’alcool. Aux psychiatres, Garcia a parfois tenu des propos curieux. Parlant de sa victime et de ceux qui l’accompagnaient, il a dit à l’un d’eux: «Tous des bandits, des scorpions. Ils sont tombés pour braquages [Chaïb Zehaf était inconnu des services de police, ndlr]. Les policiers vous diront qu’Oullins, c’est Chicago.» Il se vit un peu en justicier, dit que s’il y avait plus de gens comme lui, «il y aurait moins d’agressions dans les villes». L’instruction a finalement écarté la circonstance aggravante du racisme, alors que François Saint-Pierre, avocat de l’épouse et du demi-frère de Chaïb Zehaf, demandait une mise en examen supplétive, en arguant des deux témoignages, de l’absence de mobile, et aussi de la découverte, dans l’arsenal de Garcia, d’un fourreau de baïonnette décoré d’un aigle nazi. «Mon client a toujours dit qu’il l’avait acheté pour la plus-value économique qu’il pouvait en tirer, pas à des fins idéologiques, répond Frédéric Lalliard, avocat de Jean-Marie Garcia. Je suis par ailleurs assez d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de crime sans mobile, mais mon client, désinhibé par l’alcool, s’est senti agressé. Les barrières sont tombées chez quelqu’un qui est à peu près obsédé par les armes.» François Saint-Pierre estime pour sa part que Garcia «dénie la symbolique nazie, comme il nie son crime raciste». L’avocat reste persuadé qu’il n’aurait «pas fait feu sur une personne européenne et d’un milieu social différent». Pour que ce débat ait lieu devant la cour d’assises, il compte faire venir à la barre Dominique Sopo et Bernard-Henri Lévy. Il attend d’eux qu’ils se fassent «les témoins de l’écho social de ce crime». Puis il demandera à la cour de délibérer en se posant la question «subsidiaire» du racisme. «Ainsi, dit-il, nous serons allés au bout de notre démarche». Un jury populaire répondrait définitivement à «l’écho social».
Olivier BERTRAND pour libélyon
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