Elle a la gouaille et croit en son avenir, les sondahes sont pour elle. Marine Le Pen ne se satisfait pas de l'imprécation hargneuse, de l'allusion méprisante et de la plaisanterie blessante qui étaient la marque de fabrique de son père. Elle sait que ces saillies à moteur antisémite l'ont cantonné dans un rôle de trublion provocateur dont la capacité de nuisance ne recouvrait aucune perspective politique réelle.
Marine Le Pen, elle, cherche le pouvoir. Elle ne s'en cache pas et c'est son droit. Pour l'obtenir, elle a, entre autres, besoin de respectabilité pour diversifier sa clientèle électorale et rendre possibles des alliances futures. L'entreprise est délicate car, pour effacer l'image sulfureuse qui s'attache à son nom aux yeux de la majorité des Français, elle ne doit pas pour autant décevoir le noyau dur des militants du Front national, ceux qui s'amusaient aux déclarations choquantes de Jean-Marie Le Pen, ceux qui ont soutenu Bruno Gollnisch justement parce que ses positions le rendaient infréquentable.
La présidente du FN compose avec eux au sein du nouveau comité central du parti dont le patriarche Le Pen demeure président d'honneur. Marine Le Pen sait que l'efficacité électorale de son discours tient en grande partie à sa capacité de rencontrer, voire de susciter, les craintes et les fantasmes d'une société où l'inquiétude du déclassement nourrit la recherche du bouc émissaire.
Ainsi le musulman a pris la place tenue hier par le juif, l'Arabe ou l'immigré dans la dialectique frontiste. Ne nous y trompons pas : ceux qui parlent de l'islamisation de la France sont guidés par la même obsession xénophobe que ceux qui dénonçaient la judaïsation de notre pays dans les années 1930. L'étranger, quel que soit son visage, reste responsable pour l'extrême droite des maux de notre -société.
Alors, parce que Marine Le Pen a qualifié au détour d'une interview "les camps" de "barbarie suprême", devrait-on lui décerner un certificat d'honorabilité ? C'est un peu court... Elle a pris soin, dans cette communication très préparée, car attendue, de soustraire tout qualificatif au mot "camp", amalgamant de la sorte des situations bien disparates : détention, travail et extermination.
Point de détail ? Sans spécifier la Shoah, Marine Le Pen entend ainsi clore une polémique qu'elle renvoie au fond à un passé sans intérêt. Cette seule déclaration devrait-elle suffire à absoudre le FN de son lourd passif ? Certainement pas.
Le parti n'a pas fait le deuil de ses réminiscences antisémites, groupuscules nationalistes, pétainistes et autres passéistes gravitant encore autour de lui. Enfin, le souvenir encore très frais de Marine Le Pen se refusant à condamner l'ignominie de la conférence négationniste de Téhéran en 2006 montre que les réflexes les plus élémentaires de la lutte contre l'antisémitisme ne sont en rien acquis.
Vigilance et fermeté
C'est pour ces raisons et au regard des valeurs universelles que nous défendons que nous voulons exprimer notre profonde préoccupation devant le développement actuel d'un populisme dont l'Europe offre divers exemples et dans lequel une partie de la France semble prête à basculer. Il est bien sûr nécessaire de faire preuve de la plus grande vigilance et de la plus grande fermeté vis-à-vis des islamistes radicaux.
Mais nous savons que stigmatiser la population musulmane tout entière pour lutter contre les excès, la haine et les violences de groupes spécifiques est non seulement inefficace, mais aussi injuste. Les juifs sont dans notre pays une petite minorité. Mieux que d'autres, ils savent, ils devraient savoir, ce que c'est que d'être dénoncés comme les responsables des maux de la société, et ils doivent s'interdire eux-mêmes cette dérive.
Plus encore, tant que le discours du FN reste un discours d'exclusion et de xénophobie, inviter Marine Le Pen à s'exprimer sur l'antenne d'une radio juive était une décision irresponsable. En raison de leur histoire et de son histoire, les juifs ne doivent lui fournir ni tribune ni certificat d'honorabilité.
Souvenons-nous qu'en quelque lieu et en quelque temps qu'elle soit parvenue à prendre le pouvoir, l'extrême droite n'a été pourvoyeuse que de haine, de malheur et de trahison.
Le CRIF est le Conseil représentatif des institutions juives de France ;
La LICRA est la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme.
Richard Prasquier, président du CRIF et Alain Jakubowicz, président de la LICRA
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