SOS Racisme Partenaire de Quat'rues

mardi 21 décembre 2010

Pourquoi Marine Le Pen défend les femmes, les gays, les juifs…

«Non, tu n’as pas changé !» C’est la chanson qu’entonnent en chœur journalistes et politiques quand Marine Le Pen s’en prend à ces musulmans que l’on voit prier, faute de lieux de culte, sur la voie publique : «Pour ceux qui aiment parler de la Seconde Guerre mondiale, s’il s’agit de parler d’occupation, on pourrait en parler pour le coup.» Sans doute s’inquiète-t-on à grand bruit de ce retour fracassant ; mais l’agitation trahit aussi un soulagement. Quand les lignes politiques bougent, l’extrême droite serait «toujours la même» : on retrouve, s’exclame presque Libération en une, «le FN de papa» !

«Je suis très surpris de l’étonnement de certains, s’amuse Brice Hortefeux, il s’agit en réalité de propos très classiques tenus par son père. Elle s’inscrit dans la filiation.» On goûtera l’ironie d’un ministre, condamné pour propos racistes, qui s’apprête à lancer un Observatoire du racisme pour s’ériger sans rire en rempart improbable contre les idées du Front national. Quand chacun s’emploie aujourd’hui à dénoncer l’extrême droite, assurément infréquentable, la droite gouvernementale n’apparaît-elle pas, pour le coup, fréquentable ? Ce qui n’empêche pas Jean-François Copé de réclamer le retour du «grand débat sur l’identité nationale». Dans un souci non moins républicain de combattre le «danger électoral» du FN, le secrétaire général de l’UMP préconise la «fermeté» : «A nous d’être très offensifs, à l’image de ce que fait Brice Hortefeux dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre l’immigration clandestine.»

Sans doute Dominique Sopo, président de SOS Racisme, relève-t-il dans le Monde une incohérence apparente : Jean-Marie Le Pen avait lui fait scandale en son temps en parlant de l’Occupation nazie de la France, en la jugeant «pas si inhumaine que cela». Avec sa fille, «l’occupation» musulmane semble moins désirable : la référence change de signe. Et s’il fallait y lire, non pas une contradiction, mais une mutation ? A l’heure où, rejoignant le camp républicain, il embrasse la laïcité pour mieux stigmatiser l’islam, le Front national répudie l’héritage de la collaboration pour prendre ses distances avec sa tradition antisémite. Or, au même moment, la politique gouvernementale en matière d’immigration se révèle hantée par le spectre de la Seconde Guerre mondiale. D’un côté, pareille comparaison est proscrite, sous peine de poursuites judiciaires ; de l’autre, Brice Hortefeux justifiait l’organisation en 2008 d’un sommet européen sur l’intégration à Vichy : «On en a ras-le-bol, de cette histoire du passé !» Si la droite protestataire aspire au pouvoir en se plaçant sur le terrain de l’UMP, la droite braconne sur les terres FN pour y rester.

A quoi reconnaît-on encore aujourd’hui, en pleine progression des populismes européens, la droite de l’extrême droite ? Pour le sociologue néerlandais Paul Schnabel, la réponse est simple : sans doute Geert Wilders fait-il preuve aux Pays-Bas d’une islamophobie virulente qui nourrit son discours anti-immigrés, mais il ne saurait être d’extrême droite, car, dit le sociologue, il n’est «ni homophobe, ni sexiste, ni antisémite». Il est ainsi le digne successeur de Pim Fortuyn, dont l’homosexualité flamboyante fondait la xénophobie sur le rejet des imams, au motif que ceux-ci entravaient son goût pour les garçons marocains.

Quant à Marine Le Pen, n’est-elle plus d’extrême droite ? Elle ne s’est pas contentée de dénoncer «l’occupation» islamique ; elle déclarait à la même occasion : «Dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc.» Si les médias dominants ont ignoré cette phrase, les sites d’extrême droite, d’une part, et communautaires, d’autre part, n’ont pas manqué de la relever. Pour le FN nouveau, il ne s’agit plus seulement de poser la question nationale comme une question raciale, mais aussi d’en faire une question de genre et de sexualité. On se doutait déjà que le «Français de souche» était blanc ; mais ce qui la caractérise aujourd’hui, c’est la «blanchité sexuelle».

La blanchité est d’abord définie par ce «capital d’autochtonie» que, selon la fondation chevènementiste Res Publica, «la globalisation financière, et son impact en termes de délocalisations, est coupable d’avoir fait voler en éclats». C’est le prolongement, au sein même de l’espace français, de la «préférence nationale» à l’encontre des étrangers, puisque ce capital est constitué de «l’ensemble des ressources mobilisables par celui qui est né là où il vit et qui lui donnent un avantage social par rapport à celui qui vient d’ailleurs».

Cependant, la blanchité sexuelle vient ajouter une touche de modernité à ce tableau traditionnel. Au nom de la liberté et de l’égalité entre les sexes, voire entre les sexualités, on trace une frontière racialisée entre «eux» et «nous» : «nous» traiterions bien nos femmes, voire nos homosexuels, au contraire d’«eux». Au moment d’instituer l’identité nationale en ministère, le candidat Nicolas Sarkozy y insistait déjà en 2007 : «Chez nous, les femmes sont libres», «libres de se marier», «libres de divorcer», et même «libres d’avorter». De la polygamie au niqab, en passant par les mariages forcés, c’est toute la rhétorique de la «démocratie sexuelle» à laquelle se rallie désormais l’extrême droite, dans le sillage de la droite.

Quant au sexisme, à l’homophobie et à l’antisémitisme qui existent de fait dans les banlieues (mais qui peut croire qu’ils auraient disparu des villes et des campagnes ?), gageons que la nouvelle vertu démocratique des populistes de droite et d’extrême droite, qui se découvrent philosémites, féministes, voire «gay-friendly», ne fera que les alimenter. Les idéologues du ressentiment minoritaire, tels certains islamistes ou nationalistes noirs peu suspects de tolérance, ne peuvent qu’applaudir leurs alliés objectifs, idéologues du ressentiment majoritaire, qui leur garantissent un bel avenir. La convergence entre la droite et l’extrême droite célébrant une blanchité sexuelle revêtue d’oripeaux républicains n’est donc pas une bonne nouvelle pour la démocratie sexuelle.



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