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lundi 18 octobre 2010

"Le multiculturel a échoué" : ce débat allemand que Merkel agite

"Le multiculturel a échoué" : ce débat allemand que Merkel agite | Rue89: "Angela Merkel à Bucarest le 12 octobre (Bogdan Cristel/Reuters)

(De Berlin) « Le multiculturel a échoué, totalement échoué. » En une phrase, Angela Merkel a enterré le modèle qui prévalait en Allemagne sur la question de l'immigration depuis la chute du Mur. La théorie du « Multikulti », c'est « savoir vivre côte à côte, mais sans se mélanger ».

Samedi soir, devant les jeunes chrétiens-démocrates réunis à Potsdam, près de Berlin, les applaudissements des conservateurs étaient plutôt maigres pour la chancelière.

Tout en tirant le bilan de l'échec du « Multikulti », elle n'est toutefois pas entrée dans le débat dangereux autour de l'islam qui agite l'Allemagne depuis deux mois. Au contraire, elle a repris à son compte le discours apaisant du président de la République Christian Wulff sur la place de la religion musulmane :

« Le christianisme fait partie de nous, le judaïsme fait partie de nous. Mais il a aussi dit : l'islam a aussi sa place en Allemagne. »

Mais au sein de son parti, la querelle fait rage. Vendredi, le ministre-président de Bavière Horst Seehofer avait fustigé l'immigration en déclarant que l'Allemagne n'a pas besoin d'immigrés supplémentaires, surtout s'ils sont « de cultures différentes », une allusion très claire aux millions de Turcs qui vivent outre-Rhin.

Ces propos, en plus d'être inexacts au vu de l'état démographique de l'Allemagne, marqué par une natalité très faible, alimentent le débat lancé fin août par Thilo Sarrazin et dans lequel immigration, islam, religion, valeurs culturelles, fuite des cerveaux et crise économique sont mélangés et parfois instrumentalisés à des fins politiques.
« L'Allemagne se détruit », cauchemar à 650 000 exemplaires

Dans son best-seller « Deutschland schafft sich ab » (« L'Allemagne se détruit ») parue fin août, Sarrazin, ancien sénateur social-démocrate de Berlin et membre de la Bundesbank, décrit une Allemagne du futur qui tient pour lui du cauchemar.

Soit un pays régi par les musulmans, majoritaires grâce à leur fécondité galopante, qui remplaceront les clochers par des minarets et les bibliothèques des Lumières par des mosquées XXL.

Plus de 650 000 exemplaires du pamphlet ont déjà été vendus et les angoisses de Sarrazin, qui a depuis été démis de son poste à la banque fédérale, séduisent les Allemands : près de 51% partagent en effet ses craintes, selon un sondage Emnid publié dans la Bild am Sonntag.

La question de l'islam est devenu centrale dans le débat sur l'intégration, avec cette arrière-pensée lancinante : est-ce que le fait d'être musulman empêche de s'intégrer à la société allemande ?
La place de la croix et celle de 4 millions de musulmans

Par ricochet, une nouvelle interrogation a fait son apparition : l'Allemagne n'est-elle pas intrinsèquement un pays chrétien, où seules les valeurs chrétiennes peuvent avoir leur place ?

Dès le mois d'août, un ministre de l'Etat de Bavière, Markus Söder, déclarait que « les croix ont leur place dans les écoles, pas le voile ». Il réclame désormais une interdiction de la burqa sur le modèle français. Mais la question est loin d'être posée dans les mêmes termes que dans l'Hexagone.

La France est en effet un pays laïc, où la religion est une affaire privée. L'Allemagne, au contraire, est un pays où la religion appartient à la sphère publique : les croyants payent un impôt pour leur église, levé par l'Etat, qui le redistribuent ensuite.

En échange, les églises assument un certain nombre de services publics, comme l'aide aux sans-logis ou aux enfants pauvres. La question de la place de l'islam est donc cruciale, puisque c'est celle de la reconnaissance de près de 4 millions de musulmans dans la société.
Les « travailleurs invités » devaient, un jour, repartir dans leur pays

La violence du débat, qui alimente depuis des semaines la presse et les talk-shows, fait ressortir l'incurie de la politique allemande en matière d'intégration.

Jusqu'en 2000 et les lois Schröder, il était quasiment impossible pour un étranger d'acquérir la nationalité allemande. Les immigrés étaient encore appelés « Gastarbeiter », travailleurs invités, un nom fondé sur le contrat tacite qu'ils allaient, un jour, repartir dans leur pays.

En conséquence, l'Allemagne ne s'est jamais préoccupé du devenir des jeunes immigrés, et s'est contenté de la théorie du « Multikulti », à savoir vivre côte à côte, mais sans se mélanger. L'intégration n'était pas un but, et l'idée de l'assimilation carrément repoussée.

C'est ce laisser-aller qu'a dénoncé la chancelière samedi soir, en reconnaissant l'échec de ce qui était une absence de politique. Malheureusement le débat part désormais dans tous les sens et n'a pas permis pour l'instant de tracer des ébauches de réponses constructives.

Une seule chose est désormais sûre : si les Allemands n'aiment pas l'idée d'avoir des étrangers chez eux, ils vont être obligés de l'accepter. L'économie allemande manque en effet d'au moins 400 000 employés qualifiés.

Et le problème le plus pressant n'est pas d'arrêter l'immigration, mais d'éviter l'émigration : on estime à 200 000 le nombre de jeunes diplômés qui ont quitté leur pays lors des cinq dernières années.

Photot : Angela Merkel à Bucarest le 12 octobre (Bogdan Cristel/Reuters)

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