En novembre dernier, un rapport de la Cour des comptes accusait déjà cette nouvelle carte scolaire de créer des ghettos. Vous confirmez ?
C'est évidemment les établissements les plus fragiles qui sont les plus touchés. 30% des collèges et lycées classés ZEP-RAR (zone d'éducation prioritaire-réseau ambition réussite) jugent que la libéralisation de la carte scolaire a eu un impact négatif. C'est une difficulté supplémentaire pour ces collèges et lycées. Beaucoup de chefs d'établissement constatent une baisse des effectifs, avec le départ bien souvent des élèves les plus favorisés. Cela amplifie le mouvement de ghettoïsation.
Plus étonnant, vous relevez des conséquences dans les petites villes sur les établissements de niveau moyen.
Oui, et c'est peut-être cela le plus alarmant. L'assouplissement de la carte scolaire suscite des départs qui n'auraient pas eu lieu autrement, et déstabilise complètement l'équilibre qu'il pouvait y avoir dans certaines villes.
Prenons le cas d'une agglomération de 30.000 habitants, avec deux ou trois collèges de taille moyenne et d'un niveau à peu près semblable. Jusqu'ici, les élèves allaient sans trop se poser de question au collège le plus proche avec la garantie d'une qualité moyenne. Mais, avec l'assouplissement de la carte, les parents ont désormais le choix. A partir de là, leur raisonnement change: «Puisque j'ai le choix, c'est qu'il y a des différences». C'est un peu comme pour le numéro des renseignements. Avant on faisait le 12 sans se poser de questions. Aujourd'hui, il y a plein de 118. Sur quels critères choisit-on l'un plutôt que l'autre ?
Certains collèges se forgent une meilleure réputation que d'autres tout simplement parce qu'ils sont en centre-ville dans un immeuble ancien... Il suffit que quelque parents demandent une dérogation dans le but que leur enfant aille dans cet établissement «présumé meilleur» pour que les autres suivent. Une fois le mouvement enclenché, ce qui n'était qu'une image devient une réalité. On créé des établissements à risques qui ne l'étaient pas auparavant.
L'un des arguments des partisans de la suppression de la carte scolaire était de dire: «il faut laisser le choix aux familles, elles se tourneront moins vers le privé». Est-ce que ça marche?
C'est faux. Tout simplement parce que les lycées publics les plus cotés sont toujours aussi pleins... Accorder plus de dérogations n'augmente pas le nombre de places! Donc, cela ne change rien sur ce point. Au contraire. Lors de l'enquête, on s'est rendu compte que cet assouplissement de la carte scolaire favorisait même les inscriptions dans les établissements privés. Pourquoi? A partir du moment où on donne le choix aux familles, on crée des frustrations. Ceux qui n'ont pas l'établissement public souhaité se tournent alors vers le privé.
Que demandez-vous ? Un retour à une carte scolaire plus stricte ?
D'abord, et on le réclame depuis trois ans, on souhaite plus de transparence sur le sujet. Il serait par exemple intéressant de savoir quel est le pourcentage d'élèves dont le premier vœu a été satisfait. Le système est tellement compliqué que personne n'y comprend rien.
Ensuite, il nous semble urgent de rouvrir le dossier. L'Etat doit absolument jouer son rôle de régulateur, comme il le fait d'ailleurs dans les classes prépas avec les élèves boursiers. Bien entendu, il ne s'agit pas de revenir à une carte scolaire rigide mais il faut trouver des outils d'intervention, comme il existe dans d'autres pays. En Angleterre ou aux Etats-Unis par exemple.
«L'assouplissement de la carte scolaire accentue la ghettoïsation» - Libération
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