SOS Racisme Partenaire de Quat'rues

samedi 13 février 2010

Des statistiques de la diversité, ou de diversion ?

On aimerait pouvoir passer à autre chose. Et enfin tourner la page de ce débat décidément improductif sur les statistiques dites de la diversité, ou ethniques, qui monopolise depuis trois ans toute l’attention des acteurs de la lutte contre les discriminations. Une polémique entretenue au détriment surtout de la recherche et de l’invention de réels nouveaux outils, moins controversés et diviseurs, et surtout d’une action publique qui, depuis la création de la Halde en 2004, n’a pas progressé significativement.

Le rapport de François Héran publié vendredi au nom d’un Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations (Comedd) a le mérite de rechercher la solution la moins clivante possible, en délégitimant notamment toute classification ethnoraciale. Si certaines propositions suscitent encore la critique, c’est plus sur leur pertinence scientifique ou technique que sur le risque de porter atteinte à des principes fondamentaux. Et, surtout, les auteurs du rapport indiquent qu’avec les contrôles appropriés, ceux de la Cnil et de la Halde, on ferait tout aussi bien d’utiliser les outils déjà éprouvés pour étudier les discriminations, plutôt que de changer la loi et relancer du même coup la discorde. Pourtant, cinq députés, applaudissant ces sages conclusions, viennent de signer un appel pour demander, contre toute logique, une réforme législative… Cela n’en finira-t-il donc jamais ?

En 2008 et en 2009, loin de progresser, la lutte contre les discriminations a marqué le pas en France. La Halde a vu ses moyens se tasser tandis que la majorité ne masquait plus son hostilité à l’égard de l’institution jugée un peu trop donneuse de leçons. Le ministère du Travail s’est progressivement désengagé, en renonçant à inscrire la lutte contre les discriminations dans l’agenda social, en repoussant aussi loin que possible les dates-butoir de la loi handicap de 2005, et en mettant au point mort un projet de loi sur l’égalité professionnelle pourtant annoncé pour fin… 2008. Les pôles anti-discriminations mis en place dans les tribunaux sont un échec, faute de moyens. Enfin, la diplomatie française est restée spectatrice du bras de fer opposant les États européens sur un projet de directive européenne, aujourd’hui très mal engagé.

Si la « diversité » n’a jamais été autant à la mode dans le discours gouvernemental, elle se trouve en fait réduite à une seule dimension, sociale, et se concentre surl’élite : l’accès aux grandes écoles, la composition de la haute fonction publique, et la mixité — qui n’est pas exactement la diversité, sauf à considérer les femmes comme une minorité — dans les conseils d’administration des grandes entreprises. L’égalité des chances ne semble se concevoir en effet qu’à la tête des entreprises ou des administrations, alors que les saisines de la Halde et la jurisprudence révèlent que la discrimination est d’abord vécue par des employés et des professions intermédiaires qui n’ont pas forcément l’ambition de prendre la place de leur patron.

En limitant le débat public sur la lutte contre les discriminations à la seule utilisation de l’outil statistique, on passe donc à côté de l’essentiel. Que des chercheurs de l’INED et de l’EHESS débattent entre eux, pourquoi pas, c’est bien leur rôle. Mais que ce débat vienne capter l’essentiel de l’effort de recherche, de mobilisation et d’interpellation des acteurs de la lutte contre les discriminations, et, ce depuis trois ans maintenant, voilà qui est excessif. Comme vient de le souligner Louis Schweitzer, président de la Halde, « on peut très bien mesurer sans agir, et on peut agir sans mesurer. » Ce débat sans fin sur un outil d’étude fait perdre de vue les objectifs et s’avère une belle diversion, qui permet aux pouvoirs publics de détourner l’attention de leur passivité face aux discriminations.

Des solutions existent pourtant, comme l’accroissement des moyens donnés à la Halde, la mobilisation des tribunaux, la formation dans les entreprises et les administrations, la sensibilisation à l’école, la relance d’un dialogue social sur des objectifs de non-discrimination… Encore faut-il que la mobilisation soit audible. Souhaitons que le rapport Héran, aussi insatisfaisant qu’il puisse être pour les deux camps qui se font face, permette de se rencentrer sur les vrais moyens de lutter contre les discriminations.

• Alain Piriou •

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