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mercredi 27 janvier 2010

Identité nationale : pourquoi le débat lyonnais était biaisé / Polémique / Actualité / univers / journal / Lyon Capitale

Photo PQR/Le Progrès
Photo PQR/Le Progrès

Triés sur le volet, les 250 participants de la rencontre avec Eric Besson n'ont pas polémiqué. Le propos était convenu, centré sur la valeur du travail, l'usage du français, l'enjeu éducatif et la persistance de discriminations. Nous vous proposons l'essentiel de la discussion.

Des échanges ronronnants à l'intérieur, des échanges franchement violents à l'extérieur. Trop corseté à la préfecture, ce sont dans les rues adjacentes que le débat sur l'identité nationale s'est d'une certaine manière tenu, entre les pourfendeurs de ce dialogue "de la honte" et ses zélés, en plein réveil, venus de l'extrême droite. "Ceux qui manifestent font aussi partie du débat", dira d'ailleurs un enseignant à l'intérieur.

Au final, le débat public a été trop cadré pour être sincère, trop biaisé pour être honnête. L'assistance a été triée sur le volet : 250 personnes censées représentées la France dans sa diversité. Un dosage subtil a été opéré : un quart d'élus, un quart de personnes engagées dans le milieu économique, un quart d'associatifs et un quart de représentants éducatifs. Les religions n'étaient pas donc pas les bienvenues, hormis le Père Devert, convié au titre d'Habitat et humanisme. Et les quartiers ont été tout bonnement oubliés...

Surtout la parole a largement été donnée à des invités et quelques élus de la salle qui ont abondamment profité de la tribune qui leur a été offerte. Reste quelques témoignages, émouvants ou éclairants, des manifestes d'attachement à la France de jeunes qui déplorent aussi de se sentir exclus. On se dit alors qu'on aurait aimé assister à un vrai débat citoyen, piloté par un ministre qui serait celui de l'intégration et non de l'immigration, lancé par un Président qui n'aurait pas abusé de ce thème, pour stigmatiser, pour diviser.

"Je vis en France depuis 40 ans, j'y ai fondé ma famille : je ne me suis jamais interrogée sur l'identité nationale, avoue Zohra Abderahmane, vice-présidente du conseil économique et social régional, née en Algérie. J'appartiens tout naturellement à ce pays. J'ai une double culture, j'y puise une grande richesse et une véritable force". Pour favoriser l'intégration, elle souligne l'importance de faciliter l'apprentissage de la langue française, "rempart contre l'exclusion et la marginalisation". Un conseiller pédagogique relatera plus tard les résultats d'une étude menée il y a quelques années concluant que "lorsque les mamans parlent le français, leurs enfants ne redoublent pas le CP".

Besson "d'accord sur l'essentiel" avec Gollnisch

Bruno Gollnisch, qui - on l'imagine - n'aurait raté ce rendez-vous pour rien au monde en profite pour interpeller le ministre. "A la Courneuve, vous avez déclaré que 'la France n'est ni un peuple, ni une langue, ni un territoire, ni une religion. C'est un conglomérat de peuples'. Monsieur le ministre, il n'y aurait pas honte du tout à regretter cette déclaration que je crois malheureuse (...) votre déclaration conduit à légitimer tous les communautarismes. Vous ne seriez plus dès lors le ministre de l'identité nationale mais celui de la désintégration nationale".

Eric Besson se dirige alors vers le pupitre pour répondre au vice-président du FN. "Je suis d'accord pour l'essentiel avec ce que vous avez dit à l'instant, a-t-il commencé. Oui la France est un peuple, une langue, un territoire, un certain nombre de valeurs, il n'y a pas d'ambiguïté". A la Courneuve, il évoquait, assure-t-il, "la France d'avant la France", la Gaule en somme. "La Nation a été faite par l'Etat, la royauté puis la République". Sur la religion, il apporte cependant une nuance : "Les musulmans sont devenus et de loin la 2e religion de France. Quelque chose a changé dans notre identité nationale".

"En quoi suis-je redevable à la société française ?"

Kamel qui avait déjà débattu avec le ministre prend la parole. Il a du mal à comprendre que l'on demande s'il est "vraiment Français" alors que son grand-père et arrière grand-père sont morts pour la France. Son propre père est arrivé ici en 1936 et a participé aux grèves pour obtenir les congés payés. C'est dire comme son histoire familiale épouse la grande Histoire nationale. Kamel rappelle aussi que des Maghrébins, venus des colonies, sont morts en résistants. Deux d'entre eux ont été torturés et exécutés dans les caves de la Préfecture.

Le maire UMP de Meyzieu, Michel Forissier, témoigne ensuite de son malheur d'entendre certains jeunes Français nés de l'immigration l'interpeller en disant "vous les Français", preuve d'un défaut d'intégration. C'est le signe d'une "coupure du pacte républicain" qui ne peut être rétabli selon lui que par la restauration de l'égalité des chances et la lutte contre les discriminations. Un citoyen Franco-québécois apportera aussi un élément de réponse. S'interrogeant sur la raison pour laquelle il se sent plus Français que Canadien, il estime que son identité est liée à la question "En quoi suis-je redevable à la société française ?". Si certains ne se sentent pas Français, c'est qu'ils peinent à apporter une réponse.

A la tribune, Pierre-Jean Bravo, proviseur du lycée du Parc (ndlr : incarnation sans doute de la diversité et des quartiers sensibles), insiste sur son combat en faveur de l'ouverture des classes préparatoires aux jeunes issus des quartiers difficiles. Il relate l'expérience menée par l'INSA et l'ENS pour effectuer du tutorat dans les lycées qui décrochent. Il ne veut pas des quotas, de la discrimination positive, "l'aumône du succès". "S'il y a une politique de quotas à appliquer, elle devrait se mener dès l'école primaire et le collège en obligeant les établissements à accueillir un pourcentage équivalent de chaque catégorie socio-professionnelle". Le proviseur souligne l'importance de soutenir les parents d'enfants défavorisés, "par une école des parents où seraient renforcés leur niveau d'expression en français et leur connaissance du système éducatif". Enfin il insiste pour que ces élèves aient de "bonnes conditions de travail" qu'ils pourraient trouver dans des internats d'excellence ouvertes prioritairement aux boursiers.

Le voile, "le cheval de Troie de l'Islam politique"

Pour Mohammed, un harki, il est essentiel de ne pas remettre en cause l'enseignement de l'histoire et de parler de la colonisation, de la décolonisation, de la guerre d'Algérie. "Beaucoup d'enfants d'immigrés ont leurs parents qui ont participé à cette histoire", relève-t-il. C'est au bout de 45 minutes que l'assistance se réveille enfin. Présidente de l'association "Regards de femmes", Michèle Vianès va réussir là où Bruno Gollnisch avait échoué : rompre avec cette litanie de bons sentiments. L'élue de droite commence pourtant par un exposé très universitaire, truffé de bonnes références. Mais quand le préfet l'invite à conclure, elle en vient au fait, attaquant le voile, "marquage archaïque, possessionnel et obsessionnel du corps féminin (...) stigmate de servitudes, contraire au pacte d'égalité entre les hommes et les femmes".

"C'est le cheval de Troie de l'Islam politique", s'écrie-t-elle dans le brouhaha, alors que le préfet la prie de terminer. Mais elle ne se démonte pas : "dans l'espace public, on voit de plus en plus de fillettes enveloppées dans ce bout de tissu (...) la République doit protéger celles qui refusent ce stigmate rougi par le sang des femmes musulmanes, violée, lapidée, étranglée ou brûlée parce qu'elles ont refusé de le porter". Le débat commence : le préfet va s'employer à l'éteindre aussitôt. Finie la séance de questions : il passe le micro au Père Bernard Devert, président d'Habitat et Humanisme puis, pour être sûr de bien calmer les esprits, à Blandine Peillon, chef d'entreprise. Reviennent des propos convenus. On parle de l'importance du travail, comme vecteur d'intégration. Une agricultrice, qui s'est sans doute trompée de salle, fait un exposé sur les coopératives agricoles. Un proviseur d'un lycée professionnel de Villeurbanne, accompagné par ses élèves, confie une question posée par son fils de six ans qui l'a perturbé : "papa, est-ce qu'on est des arabes ?". Aux enfants d'immigrés, il leur dit : "soyez fiers de ce que vous êtes ! Accomplissez-vous !".

5 fois moins de chance de décrocher un emploi

Président départemental du Parti Radical, Bernard Fialaire plaide pour l'instauration d'un service citoyen obligatoire pour tous. Conseillère municipale (MoDem de droite) et avocate, Fouziya Bouzerda cible son propos sur la discrimination. "A diplôme égal, ces jeunes ont cinq fois moins de chance de décrocher un emploi, et même un entretien d'embauche". La salle s'agite : le préfet est pressé. Il veut bientôt redonner la parole aux deux ministres. Plutôt que de poursuivre avec des témoignages, il tend le micro à un autre élu, François-Noël Buffet, sénateur-maire d'Oullins. Celui-ci propose en préambule de laisser son temps de parole à la salle, mais embraye aussitôt sur Napoléon.

Le public trépigne. Un jeune du lycée du parc a cependant le temps de placer que selon lui, l'intégration est une question individuelle et non collective et qu'il revient à chacun à montrer son attachement à la Nation. Un Franco-iranien se demande pourquoi il se sent plus Français qu'Iranien. "Plus que par les papiers, on devient Français dans le regard des gens", estime-t-il, y voyant la raison au sentiment de non appartenance à la communauté nationale de certains jeunes rejetés.

La déclaration d'amour de Nora Berra

La conclusion approche, le préfet peut souffler : les dérapages ont été contrôlés. A l'extérieur, c'est une autre affaire mais les ministres sont dedans. Nora Berra, restée mutique jusque-là, ouvre la bouche. "Qu'est-ce qu'être Français ?", s'interroge-t-elle, revenant aux fondamentaux du débat. "C'est une histoire émotionnelle, une construction, une identité qui se forge". Reconnaissant avoir un patrimoine culturel un peu différent, elle objecte que "lorsqu'on a des parents algériens, on a aussi une part de l'histoire française". Elle accepte ensuite de se raconter. Elle a vécu cinq ans à Oran pour poursuivre ses études. C'est là-bas qu'elle a éprouvé le manque de la France. "On ne perçoit jamais la valeur des choses que lorsqu'on en est loin. C'est dans un contexte international que l'on va définir son propre périmètre", philosophe-t-elle, terminant sur une déclaration d'amour à la France de bon aloi. Les électeurs UMP ont applaudi des deux mains.

C'est ensuite à Eric Besson qu'incombe la tâche de conclure. Le ministre est content, le débat s'est passé sans heurt. Un bonus : il a rempli son "sac de citations". Selon lui, la France peut rester une terre d'accueil à la double condition que les immigrés "respectent nos traditions" et que la République "respecte ses promesses". Il fallait bien 350 débats pour en arriver là ! Le ministre a bien entendu la demande d'égalité réelle. "Les Français sont très nostalgiques du service militaire, avec l'idée de brassage", note-t-il aussi. Il disserte sur la "dialectique unité/diversité". "C'est l'Etat qui a créé l'unité qui n'existait pas. Il ne doit pas être un frein à la diversité".


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