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mercredi 9 décembre 2009

"Un débat à rebours", selon SOS Racisme - Contre débat sur l'identité nationale - Information NouvelObs.com

Il y a quelques semaines, Eric Besson, ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, annonçait avec tambours et trompettes qu’un "grand" débat allait être lancé sur le thème de l’identité nationale. Sans que l’on sache quel était alors l’étalon qu’utilisait Monsieur Besson pour déterminer ce qui distingue un "grand" débat d’un "petit" ou d’un "moyen", les modalités en furent vite annoncées : les sous-préfets étaient chargés d’organiser une foultitude de réunions avec les forces intellectuelles, syndicales, politiques et associatives du pays afin qu’un vaste remue-méninges permette de répondre à la question "Quelle est l’identité nationale de la France ?" et d’en tirer des conclusions pratiques au mois de février.

Sans revenir sur la grossièreté de ce calendrier – puisqu’il indique clairement qu’il y a tentative de séduction de l’électorat frontiste à l’approche des élections régionales -, la méthode laissait songeur. En effet, bien loin du débat non partisan annoncé, l’imposition du calendrier, des modalités et de la teinte de ce débat en firent d’emblée un débat qui ne permettait en aucun cas de réunir sereinement les "forces vives de la Nation" autour d’enjeux fondamentaux. La France sait pourtant mener de tels débats. Ainsi, en 2005, lorsque la question des signes religieux fut à nouveau posée dans le cadre scolaire, un débat digne et fructueux fut mené via la Commission Stasi.

Le jargon républicain utilisé dans le présent débat ne saurait ici faire illusion. Le débat sur l’identité nationale est fondamentalement nauséabond. Ainsi, d’emblée, avons-nous pu entendre de la part du Premier ministre et du ministre de l’Identité nationale que ce débat allait permettre à la France de ne plus avoir à battre sa coulpe sur certaines pages de son Histoire (les mêmes vous jureront respecter la pensée d’Aimé Césaire…), que ce serait l’occasion d’affirmer une opposition au communautarisme (sans piper mot sur les logiques de ghettoïsation des quartiers populaires ou sur l’entre-soi des élites) tandis qu’il était assumé que ce débat était censé "ramener" des électeurs du Front National vers des partis républicains (on aura deviné lesquels…).

Avec de telles prémices, les dérapages étaient inévitables. Et c’est ce qui est apparu lorsque le maire de Gussainville, tel un personnage surgi du film Dupont-Lajoie, asséna devant des caméras et des micros des propos d’un racisme crasse et grossier. Le sous-préfet en charge de l’une des fameuses réunions – bien poussives – censées tenir lieu de cadre au débat et en marge de laquelle cet édile s’illustra avait d’ailleurs cru bon de préciser, en ouverture de la réunion, que les propos tenus ne devaient pas déraper. Comme s’il avait lui-même intégré ce qu’était réellement ce débat : un formidable moyen de libérer la parole raciste.

Il faut dire que ce débat, fondamentalement, reste l’otage de l’idéologie du Front National, qui interdit de penser la Nation de façon "trop" ouverte et qui pousse à la concevoir comme un ensemble de traits muséifiés, renvoyant ainsi à la tare originelle de ce ministère qui accole dans son intitulé l’Immigration et l’Identité nationale, sous-entendant que cette dernière devrait être administrée – et donc obligatoirement formalisée – tandis que le danger qui la menacerait est tout identifié : l’immigré et ses mauvaises manières.

Il y a quelques jours, pourtant, toute la classe politique encensait Claude Lévi-Strauss. Or, dans son œuvre fondamentale, Tristes tropiques, ce dernier expliquait que les sociétés qualifiées de primitives, bien loin d’être des sociétés qui n’avaient guère connu de processus historique, se vivaient comme ayant achevé leur évolution historique et avaient de ce fait rigidifié leurs conceptions, codes, valeurs et normes. D’où, dans ces "tropiques", une immobilité, une répétition à l’infini qui leur valurent cet épithète de "tristes".

Ce que nous jugeons comme une inestimable valeur dans les sociétés au sein desquelles nous évoluons, c’est tout au contraire leur complexité, leurs contradictions, leur perpétuel changement où chaque jour s’invente une part de la société à venir. Le débat sur l’identité nationale est à rebours de cette richesse car, tel qu’il est posé, il ne peut qu’aboutir à cette muséification mortifère pour la vitalité d’une société. Les habitudes et les codes de l’autre n’y sont en effet plus une source de curiosité et de découverte mais un danger qu’il faut éloigner à tout prix, quel que soit l’attirail sémantique – fut-il traversé du lexique républicain - déployé à cette fin.

Il est toujours étrange de voir à quel point les responsables politiques peuvent, à certains moments de l’Histoire, enfoncer une société qu’ils ont la charge de développer à des fins mesquines et qui ne construisent rien. Or, ici, on l’aura compris, la fin est électorale et le moyen – le débat sur l’identité nationale – joue comme un dérivatif aux vrais problèmes qui se posent au pays. Car, enfin, quel aurait été un débat utile et dont nous sommes de fait privés par l’atonie intellectuelle de la classe politique française ? Tout simplement celle de l’effectivité des valeurs de la République, élément fondamental de la cohésion sociale et nationale.

Et dans un débat ainsi posé, les pouvoirs publics auraient pu non pas manipuler les peurs mais se projeter, dans une action réflexive à laquelle les citoyens auraient été conviés, dans une dynamique républicaine positive.

Evidemment, cela aurait commandé de poser des questions qui dérangent réellement et qui auraient supposé que les pouvoirs publics soient en situation de dire quel chemin ils comptaient prendre pour que lesdites valeurs s’appliquent pour tous et partout.

A cet égard, il eut été intéressant de lancer un grand débat sur les discriminations, dont l’existence contrevient gravement au principe d’égalité et qui frappent potentiellement une grande majorité de citoyens, qu’ils aient subi cette rupture d’égalité qu’est la discrimination en raison de leur origine réelle ou supposée, de leur nationalité, de leur genre, de leur orientation sexuelle, de leur apparence physique, de leur adresse ou de leur âge.

Il eut été de même fondamental de se poser la question de la fluidité sociale, c’est-à-dire de la perspective de se voir doté des mêmes chances de promotion sociale quelle que soit son origine sociale. Or, le défaut de fluidité sociale contrevient à une "méritocratie républicaine" souvent vantée mais bien loin d’être une réalité.

Des débats d’une autre tenue que les relents rances de l’actuel "débat" qui n’en finissent pas de remonter à la surface. Des débats d’une autre tenue que la sortie de Frédéric Lefebvre expliquant, après le référendum en Suisse, que les constructions de minarets devaient respecter les règles d’urbanisme, une sortie douteuse et somme toute aussi intelligente que d’expliquer que les conducteurs musulmans devaient respecter le code de la route.

Il faut dire qu’il est bien plus facile de rechercher une connivence identitaire jouant sur les peurs que de construire une société fidèle à des principes que les pouvoirs publics n’ont que depuis trop longtemps transformés en hypocrites incantations.

Dominique Sopo
président de SOS Racisme
"Un débat à rebours", selon SOS Racisme - Contre débat sur l'identité nationale - Information NouvelObs.com

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