SOS Racisme Partenaire de Quat'rues

jeudi 16 avril 2009

Discriminations : évitons les faux débats

Le 07 Avril sur Médiapart Dominique Sopo , Président de SOS Racisme a répondu à la "Lettre à nos potes antiracistes sur la mesure de la diversité " du Président du CRAN Patrick Lozès :

Il y a deux types d’articles pour lesquels il est ardu d’apporter une réponse : les articles de haute volée intellectuelle – car la réponse doit être à la mesure du texte critiqué – et les articles qui se caractérisent par l’ampleur de leur inanité tant les approximations, distorsions, mensonges et simplifications y pullulent. C’est à cette seconde catégorie qu’appartient le texte publié par Patrick Lozés et qui se voulait une adresse à ses « potes antiracistes ».

Ce qui frappe tout d’abord dans ce texte, c’est le manque stupéfiant de maîtrise du sujet de la lutte contre les discriminations.

Ainsi, l’auteur nous présente une « analyse » du CV anonyme pour le moins croquignolesque. Selon l’auteur, le CV anonyme, ce serait demander aux personnes victimes de discriminations de cacher leur identité à un potentiel employeur. Rassurons Monsieur Lozés, manifestement tourmenté par cette perspective : le CV anonyme serait anonyme pour tout le monde et non pas pour les seules personnes susceptibles d’être discriminées. D’ailleurs, si le CV anonyme ne l’était que pour les personnes susceptibles d’être discriminées, il serait non pas une aide pour décrocher un entretien d’embauche mais un stigmate absolu. Il est par ailleurs soutenu que le CV anonyme serait un « mensonge », une volonté – honteuse - de cacher son identité. Plaisante analyse... Les dizaines de millions de personnes qui ont dans notre pays passé des examens ou des concours ont eu à anonymiser leurs copies afin, justement, que la notation ne soit pas fonction d’informations personnelles sur le candidat. Il ne semble pas que cette pratique ait provoqué de traumatismes majeurs dans notre pays… Et pour cause : cela renvoie tout simplement à une logique d’objectivation. Quand on note une copie, on ne note pas une personnalité mais la qualité de la copie. Eh bien, lorsqu’un employeur sélectionne un CV, il doit le faire sur la base des compétences requises pour occuper le poste à pourvoir et non sur la couleur de peau du candidat ou sur un quelconque autre critère étranger aux compétences recherchées. La question du CV anonyme est particulièrement importante en France, c’est-à-dire dans un pays où la pratique consiste à demander sur un CV des informations qui, pour l’essentiel, n’ont qu’un rapport éloigné avec les compétences requises. Par exemple, le fait de devoir mettre une photo sur un CV entretient quel rapport avec la question des compétences ? Notons d’ailleurs qu’il serait inconcevable aux Etats-Unis qu’une société ose demander un CV accompagné d’une photo ! L’objectivation des procédures d’embauche que le CV anonyme faciliterait n’est certes pas « la » solution miracle mais elle permet à toute une série de populations – discriminées en fonction de leurs origines, de la consonance de leur nom, de leur adresse, de leur sexe ou de leur apparence physique – de passer l’étape de la sélection des CV et donc de pouvoir défendre leurs chances au cours de l’entretien d’embauche. Remarquons par ailleurs que faciliter par cette méthode des rencontres qui n’auraient sinon jamais eu lieu permet aussi de confronter celui qui nourrit des préjugés aux personnes sur lesquelles il projette ces derniers. Et c’est d’ailleurs ce mécanisme qui fait que, selon toutes les études menées sur le sujet, le CV anonyme est efficace en termes de lutte contre les discriminations à l’embauche. En affirmant le contraire (car l’article que nous commentons ici explique que la méthode du CV anonyme est inefficace), Monsieur Lozés ment-il ou est-il ignorant de ces études ?

En outre, pour appuyer son analyse en faveur des statistiques ethniques, Monsieur Lozes explique que ces dernières permettraient de mettre en lumière des discriminations indirectes qu’il associe au « plafond de verre », c’est-à-dire cette réalité qui fait qu’à un moment de leur parcours professionnel les personnes discriminées sont bloquées dans leur évolution de carrière. Or, ce fameux « plafond de verre » que Monsieur Lozes évoque relève pour l’essentiel de discriminations directes ! Rappelons donc à Monsieur Lozes à quoi correspond une discrimination indirecte : il s’agit d’une discrimination qui résulte de l’application d’une mesure apparemment neutre mais qui frappe en réalité un groupe particulier de la population (par exemple, réduire l’embauche de sapeurs-pompiers aux personnes mesurant plus de 1m70 relèverait d’une discrimination indirecte à l’encontre des femmes).

En évoquant le fait que Monsieur Lozes était pro statistiques ethniques, on pourrait me dire « Mais non ! Il écrit qu’il est contre ! Il dit qu’il est favorable non pas aux statistiques ethniques mais aux statistiques de la diversité ! ». Piteux cache-sexe en réalité. Car revient la question essentielle : sur quels critères seraient basées ces fameuses statistiques de la diversité ? Chez Monsieur Lozes, représentant auto-proclamé des « associations noires de France » - dont il serait utile de lui demander une liste actualisée… -, la base est ethno-raciale. Et le fait de demander, en plus, aux gens qui répondraient à ces fameuses statistiques leur âge, leur sexe ou toute autre information n’y change rien.

Mais ce terme même de diversité est tout à fait intéressant. Car Monsieur Lozes correspond à ce courant qui voudrait remplacer la logique de lutte contre les discriminations par la promotion du concept de diversité. Conséquence de cette « mutation », qui est loin d’être simplement sémantique : la « diversité » n’est en rien un concept juridique – et ne sera jamais définie comme tel – et n’ouvre donc aucun droit. Au contraire de l’égalité, concept juridique clairement défini et permettant la définition de droits précis et sanctionnables. D’ailleurs, toutes les entreprises que SOS Racisme a fait condamner pour discriminations raciales ont comme par hasard été prises d’une adoration soudaine pour le concept de « diversité »… En outre, on voit bien que la notion de diversité renvoie à une théorie du « reflet ». « Puisque je suis à la tête d’une communauté qui pèse autant de pour cent, j’ai le droit d’être au Gouvernement pour la représenter » : voilà quelle pourrait être la maxime des promoteurs de ce concept qui ont la désagréable tendance à se servir des discriminations que subissent les « leurs » pour monter, eux, un barreau supplémentaire sur l’échelle sociale. Une conception que SOS Racisme combat car le but de l’antiracisme, ça n’est pas de permettre la promotion de quelques « happy few » mais de faire en sorte que chacun, quelle que soit son origine, dispose de toutes les opportunités qu’offre notre société.

Mais au-delà de ces disputes philosophico-sémantiques, il faut bien connaître la réalité des discriminations pour les combattre nous diront des gens sincères. Eh bien pas forcément ! Prenons un exemple : il y a aujourd’hui en France 6,5 millions d’emplois fermés aux étrangers extracommunautaires. Il s’agit d’une discrimination légale dont l’abolition – que nous réclamons - relève d’une décision politique et non d’une quelconque étude chiffrée. Mais est-il alors inutile de connaître la réalité des discriminations ? Certes pas ! La recherche dans ce domaine est fort utile car elle permet d’approcher l’ampleur du phénomène, la nature des processus à l’œuvre et l’approche de l’efficacité de certaines mesures qu’il conviendrait de prendre. Alors, pourquoi pas les statistiques ethniques dans ce cas ? Pour au moins deux raisons.

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