Plein droit, 83, décembre 2009 - « Codéveloppement : un marché de dupes »
ÉDITO
LA saison n’est pas favorable aux autorités indépendantes qui, dans le cadre de leurs fonctions et de leurs missions, peuvent être amenées à dénoncer certaines pratiques administratives et, en conséquence, à demander des comptes à l’État. Sous couvert de la création d’une nouvelle institution, celle de « défenseur des droits », ont ainsi vocation à disparaître le défenseur des enfants [1], la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et le médiateur de la République. On pourrait objecter que si les institutions disparaissent, leurs missions, elles, perdurent puisque la nouvelle autorité aura un large spectre d’intervention, incluant les compétences des futures disparues. Ce n’est pas si simple.
Certes l’article 4 du projet de loi organique [2] relatif au défenseur des droits prévoit que toute personne « s’estimant lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public peut saisir le défenseur des droits par voie de réclamation ». La même disposition indique que ce dernier peut également être saisi lorsque la protection des droits d’un enfant est en cause, ou encore en matière de déontologie dans le domaine de la sécurité, qu’il s’agisse de faits commis par une personne publique ou privée. Pour autant cela ne suffit pas à rassurer, et on peut craindre que le défenseur des droits ne soit pas aussi actif que ne l’étaient les autorités destinées à mourir.
EN premier lieu, la méthode employée est contestable. Les autorités concernées n’ont été ni informées de leur sort, ni entendues. Le gouvernement a considéré qu’il pouvait se dispenser de leur expérience. Ce sont pourtant des institutions, nées toutes deux en 2000, qui sont parvenues en un temps assez court à s’imposer dans leur champ respectif et à devenir des acteurs importants dans le paysage des droits et libertés. Trop sans doute aux yeux des pouvoirs publics. On reproche implicitement à la CNDS d’avoir été trop active, notamment dans les affaires impliquant des fonctionnaires de police (la majorité des saisines). Quant au défenseur des enfants, là encore, on sait que ses prises de position critiques à l’égard du maintien en rétention des mineurs étrangers ou encore sur l’enfermement des familles dans les centres de rétention ont déplu au sommet de l’État.
PAR ailleurs, si la volonté était véritablement de rationaliser l’organisation des institutions intervenant dans le champ considéré, par souci notamment d’économie, on ne peut alors que s’étonner que seules ces trois autorités aient vocation à disparaître. Comment s’est opéré le choix ? On l’ignore. Il en existe pourtant d’autres qui agissent sur le terrain des droits et libertés. Elles ont été pour l’instant épargnées.
Il y a fort à craindre que le défenseur des droits n’offre pas les mêmes garanties d’indépendance que la commission nationale de déontologie de la sécurité et le défenseur des enfants plus particulièrement. À la différence des membres de la CNDS (14 membres nommés par plusieurs autorités), le défenseur des droits sera nommé en conseil des ministres. Certes, cela n’empêche pas en soi d’acquérir de l’indépendance et de la revendiquer, – la défenseure des enfants actuellement en exercice a bien été nommée par le président de la République – mais tout dépend de la personnalité de l’élu(e). Or si, comme tout le laisse penser, le gouvernement veut une autorité plus docile, la nomination se fera en conséquence.
Il est intéressant de remarquer que les prises de position ou les critiques formulées par les deux autorités et qui n’ont pas été appréciées par le gouvernement ont le plus souvent concerné des étrangers (enfermement des enfants et dysfonctionnement dans la protection des mineurs isolés d’un côté, et violences policières en matière d’éloignement forcé de l’autre). Ce n’est pas le fruit du hasard.
Vraisemblablement pour les mêmes raisons, la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) est elle aussi dans le collimateur de l’État. Si elle n’est pas concernée par la future création du défenseur des droits, elle n’en est pas moins menacée. L’Assemblée nationale vient en effet d’adopter un amendement limitant à 1 % l’augmentation de son budget, au lieu de 11,3 % comme cela était prévu. De façon tout à fait déplacée, des députés de la majorité, auteurs dudit amendement, ont fustigé son prétendu train de vie (en l’occurrence son loyer), alors que la Halde coûte dix fois moins cher que son homologue anglais. En réalité, on lui fait payer « des décisions sur les discriminations qui n’ont pas plu à tout le monde », comme l’a fait remarquer la direction de la Halde. Lorsque la Halde dénonce les pratiques discriminatoires dans les entreprises privées, elle ne dérange pas les pouvoirs publics. En revanche, lorsqu’elle qualifie les lois sur les étrangers de discriminatoires (les lois Sarkozy et Hortefeux, notamment dans leurs dispositions sur le regroupement familial), elle devient insupportable. Certes le Sénat a rectifié le tir en accordant à la Halde le budget initialement prévu, mais l’Assemblée nationale peut très bien avoir le dernier mot. Et si ce n’est pas pour cette foisci, ce sera pour une autre. La Halde n’a qu’à bien se tenir.
Notes
[1] Voir le communiqué du 18 septembre 2009, « Des autorités indépendantes indispensables à la défense des enfants », signé par plusieurs associations, dont le Gisti.
[2] Le projet de loi organique fait suite à la réforme constitutionnelle intervenue en juillet 2008 créant, sous l’article 71-1, le défenseur des droits sans définir avec précision son périmètre d’intervention.
Cet article est extrait du n°83 de la revue Plein droit (décembre 2009),
« Codéveloppement : un marché de dupes »
http://www.gisti.org/spip.php?
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