Contrairement à ce qu'a déclaré Besson, les débats locaux ont souvent dérapé ou se sont concentrés sur l'islam et l'immigration.
A agiter le chiffon rouge de l'immigration, le gouvernement est parvenu à libérer une xénophobie qu'il leur est désormais difficile de contrôler.
Lundi, les grands moyens ont donc été employés par Eric Besson, le ministre de l'Immigration, pour tenter de sauver sinon le « grand » débat sur l'identité nationale, du moins son image sérieusement plombée par des dérapages racistes et par les critiques sévères issues de la droite même.
Face à des journalistes venus en nombre, le ministre n'a rien de moins qu'accusé les médias et la gauche de donner une image fausse du débat en se focalisant sur les dérapages « minoritaires ». A l'appui de ses accusations, une analyse réalisée par l'institut de sondage TNS/Sofres sur 26 000 contributions d'internautes au site dédié.
Sauf qu'à la lecture des comptes-rendus parus dans la presse nationale et régionale, les choses ne se sont pas passées aussi bien, loin de là. Rue89 a dressé la carte de France des bides, bugs et dérapages de l'opération lancée par Besson. Un inventaire non exhaustif, des dysfonctionnements constatés dans 45 de 227 débats locaux organisés. (Voir la carte)
Un « immense succès populaire » ?
Eric Besson n'en démordra pas, le débat est un « immense succès populaire » dont « un très grand nombre de Français » s'est emparé.
Evidemment, tout dépend du critère utilisé. Selon un sondage CSA paru le 20 décembre dans Le Parisien/Aujourd'hui en France, une majorité de Français (50%) affirmait ne pas être satisfaite de la manière dont se déroule le débat sur l'identité nationale.
Et si le débat occupe bien l'espace médiatique comme l'a souligné Eric Besson, c'est majoritairement pour en rapporter les excès, pourtant niés par le ministre.
Dans la presse locale, de nombreux reportages (accessibles depuis la carte ci-dessus) font la part belle à l'ennui ressenti dans les rangs et à des débats sans passion. Enfin, les « jeunes », dont le ministre assure qu'ils débattent, sont désignés par la presse régionale comme étant les grands absents.
Des « dérapages isolés » ?
C'est avec fermeté que le ministre a déclaré : « Le débat n'a pas dérapé. » Pour en finir avec les polémiques sur le sujet, Eric Besson a assuré que la « caricature du défouloir raciste n'avait pas fonctionné », et que l'impression d'une foultitude de dérapages venait sans doute de la focalisation des médias sur « quelques dérapages très isolés ». L'opposition s'est également vue accuser d'enflammer le débat.
Pourtant, en faisant une appréciation rapide des débats locaux organisés depuis novembre, difficile de conclure aux dérapages minoritaires, comme l'a fait Eric Besson.
Au contraire, très peu de dérapages ont été médiatisé -le maire de Gussainville, par exemple. Sur une cinquantaine de débats recensés par Rue89, la majorité (pas tous, c'est vrai) ont été pollués par des interventions clairement xénophobes. En voici quelques exemples :
- A Grenoble, une intervenante lance : « On donne parfois des droits aux étrangers que les Français ne demandent pas (…) J'aime à tenir ces propos qu'on dira racistes. »
- A Wailly-Beaucamp : « Il ne faut pas confondre l'immigration polonaise et celle venant d'autres continents. Je vais rester politiquement correct… Mais les Polonais n'ont jamais brûlé de drapeau français. »
- Au Raincy : « Je me sens saturé dans les bus, je suis le seul gaulois blanc ! »
- A Saint-Amand Montrond,
ot ; >le JDD rapporte un débat houleux et les paroles d'une dame au fond de la salle : « Je suis une des seules Noires dans la salle. C'est horrible. J'ai envie de me mettre de la farine sur le visage pour devenir blanche. »
A ces dérapages d'inconnus dont Eric Besson est satisfait qu'ils puissent exprimer leurs avis « tout haut » s'ajoutent ceux des élus et responsables politiques. Lorsqu'en plein débat public, Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la famille, se met à déclarer n'importe quoi pour cadrer un participant xénophobe, le dérapage n'est pas anodin :
« Moi, ce que je veux du jeune musulman, quand il est français, c'est qu'il aime son pays, c'est qu'il trouve un travail, c'est qu'il ne parle pas le verlan, qu'il ne mette pas sa casquette à l'envers. »
Son cas n'est pas isolé. Lors d'un reportage au Raincy, plusieurs intervenants se sont totalement lâchés. (Voir la vidéo)
« Pas focalisés sur l'islam et l'immigration » ?
« Le débat n'est pas focalisé sur l'immigration et sur l'islam », a tempêté Eric Besson, fort d'études TNS-Sofres à partir des contributions postées sur le site. Une analyse lexicale de 26 000 contributions sur les 50 000 postées et une analyse « qualitative » de 500 contributions. De quoi parle-t-on ?
Brice Teinturier, directeur général adjoint de TNS-Sofres, a nuancé les conclusions rapides d'Eric Besson :
- L'immigration (27% du discours) reste le deuxième sujet évoqué par les internautes après le principe du débat lui-même (29%).
- Les commentaires « déchets » n'ont pas été pris en compte. Selon le ministère, ils représentent environ 15% des contributions totales mais comprennent aussi bien des propos « hors sujet » que « racistes ou xénophobes ».
La transparence affichée lors de cette conférence de presse n'a pas toujours été de mise. En novembre, des textes d'internautes critiques envers le gouvernement avaient été censurés du site officiel.
« Pas le débat d'un parti politique » ?
« Toutes les tendances politiques participent de fait au débat », assure Eric Besson, selon lequel les élus de gauche auraient participé dans 50% des réunions locales. Et de citer François Pupponi, député-maire de Sarcelles, participant à l'un des débats :
« Il faut avoir ce débat. Depuis cinquante ans, nous n'avons pas été capables de l'aborder sereinement. On a parqué des populations dans des grands ensembles, comme à Sarcelles et Villiers-le-Bel. »
Là, Eric Besson jubile. Le débat à Sarcelles a été un succès : grosse participation, bonne tenue des débats. Toutefois, il aurait pu citer une autre déclaration de l'élu socialiste :
« Je pense qu'il y a un vrai sujet. Il y a un malaise dans notre pays, il y a un malaise dans les banlieues. Les habitants de ces territoires ne se sentent pas forcément toujours citoyens.
Le débat a été proposé par le gouvernement, on voit bien qu'il y a une opération politique derrière mais je crois qu'il faut reprendre la balle au bond et avoir ce débat. Je pense que le gouvernement sera surpris des résultats, d'ailleurs on l'a entendu ce soir [débat sur l'identité nationale tenu à Sarcelles lundi 14 décembre]. »
A droite, les opposants au débat sont de plus en plus nombreux
Au-delà de certains cas isolés, la majorité des élus de gauche rejettent le débat sur l'identité nationale. Comme une partie de la droite. Loin de « raffermir le lien national » comme le déclare Eric Besson, ce grand déballage à quelques semaines des régionales se fait de plus en plus clivant.
Manifestations, pétitions, appels… se multiplient contre la tenue du débat. A Nantes, la préfecture de Loire-Atlantique a annulé son débat sur l'identité nationale, boycotté par les participants.
A droite, Dominique de Villepin, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, François Baroin, Yazid Sebag… ont fait part de leur désaccord. Des élus UMP ont également pris leur distance avec la position d'Eric Besson. En quittant l'UMP, Hervé de Charette a estimé « qu'on prenait les électeurs pour des billes en lançant cette consultation avant les régionales ». A Bergerac, c'est un conseiller municipal UMP qui a refusé de participer au débat…
Quelques heures avant le grand oral d'Eric Besson, c'était Dominique Paillé, porte-parole de l'UMP, qui appelait à une meilleure organisation du débat :
« Il y a nécessité de ne pas cantonner ce débat à l'immigration mais à regarder ce qui nous rapproche, regarder quel est l'avenir que l'on peut établir en commun, regarder comment on peut faire rayonner la France à l'extérieur. »
Et après ?
A plusieurs reprises, l'excellente couverture médiatique de la presse locale est soulignée par le ministère. Si les débats sont effectivement annoncés, leurs comptes-rendus ne sont pas forcément élogieux et se concluent souvent sur une interrogation : « Tout ça pour quoi ? »
« Personne ne peut répondre », reconnaît Eric Besson. Une loi ? « Il n'y a pas de recherche d'une loi. L'identité nationale ne se décrète pas ».
Photos : Eric Besson présente sa première synthèse du débat sur l'identité nationale (Charles Platiau/Reuters), lors de l'un des débats locaux sur l'identité nationale, au Raincy, avec Eric Raoult (Audrey Cerdan/Rue89)
Débat sur l'identité nationale : le vrai bilan et la carte des ratés | Rue89: "Débat sur l'identité nationale : le vrai bilan et la carte des ratés"
On en a fait couler de l'encre au sujet de l'identite nationale et que de pensées mauvaises.
RépondreSupprimerTout le monde se demandait qui était français ? et que fallait-t-t-il présenter pour qu'on vous dise "vous êtes français" Ridicule. Demandez à un Congolais, ayant la nationalité française puisque né en France, s'il est français? oui, mais d'origine congolaise. Sa culture est là-bas.
Est-ce ça "l'identité française"?
Pourquoi n'avoir pas tout de suite créé ce débat sur la CITOYENNETE au lieu de l'IDENTITE ?
Moins de boucliers levés et plus de réflexions, il me semble!